En octobre 2006, la revue « Le Rail », mensuel des œuvres sociales de la SNCB Holding a publié un article de Monsieur Roland Marganne (1) consacré à l’histoire et au présent de la gare de Gouvy.
Cet article est une synthèse d’un travail plus vaste que l’auteur consacre actuellement au nœud ferroviaire de Gouvy.
Il donne un éclairage particulièrement intéressant sur l’histoire de notre région aux XIX et XXe siècles et sur certaines de ses perspectives d’avenir.
Nous tenons à remercier monsieur Marganne qui a bien voulu nous autoriser à publier son document dans le numéro 73 de Kaléidoscope – la revue éditée par I.D. Gouvy asbl- et sur notre site internet.
Nos remerciements vont aussi à la rédactrice en chef du magazine « Le Rail » qui nous a également accordé son autorisation.
L’auteur remercie monsieur Augustin, chef de gare à Gouvy, pour l’aide précieuse qu’il lui a apportée.
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Aux sources de l’Ourthe Orientale…
Gouvy
Nœud ferroviaire ardennais
par Roland Marganne
Qui, dans le monde cheminot, ne connaît pas le toponyme « Gouvy », un des quatre points frontaliers actuels entre le réseau belge et le Grand-Duché du Luxembourg, avec Sterpenich, Athus et Aubange.
Mais Gouvy, c’est d’abord une commune ardennaise de 4 700 habitants, au nord de la province du Luxembourg belge, mais aussi aux confins du Grand-Duché du Luxembourg : les vingt-trois villages et hameaux qui la composent sont encore un écrin de verdure et de forêts arrosé par l’Ourthe Orientale qui y prend sa source. Savez-vous que la commune elle-même n’a été baptisée « Gouvy » que lors de la fusion de 1976 ? Auparavant, le village de Gouvy faisait partie de la commune de Limerlé, créée, elle, dès 1824.
La vocation ferroviaire de Gouvy
Cette petite entité rurale a été tirée de son relatif isolement au milieu du XIXe siècle au moment de l’aventure de la construction de lignes de chemin de fer en Belgique. Mais ce n’est pas un hasard : la vocation ferroviaire de Gouvy était en quelque sorte inscrite dans les astres, car la région est un lieu de passage très ancien : une chaussée romaine la traversait jadis pour relier les grands centres de Reims et de Cologne. Plus tard, une route tout aussi traditionnelle passait au large de Gouvy : « le grand chemin de Stavelot », qui reliait sous l’Ancien régime la principauté abbatiale de Stavelot – Malmédy et le nord du futur Grand-duché.
Pourtant, l’idée de doter la région en voie de chemin de fer ne remonte pas précisément aux origines de la création d’un réseau ferré en Belgique. Si Condroz et les Ardennes n’avaient pas été repris dans le premier projet, d’initiative publique, de construction d’un réseau ferré en Belgique de 1834, l’État ne s’était pas réservé le monopole de la construction et de l’exploitation ferroviaires : il s’appropriait en fait le droit de concéder au secteur privé les lignes que celui-ci jugerait utiles… et rentables. Celui-ci ne se fit pas prier et conçut empiriquement un réseau complémentaire, parallèle et souvent concurrent de celui de l’État. Le sud du pays n’échappa pas à ce mouvement : ainsi, dès 1846, des investisseurs anglais obtenaient la concession d’un chemin de fer dit « de Luxembourg ». Les intéressantes perspectives de profit réservées par l’exploitation d’une voie ferrée reliant les riches bassins industriels de la vallée de la Meuse aux minières du Grand-Duché de Luxembourg et de l’est de la France motivaient notamment les investisseurs d’Outre-Manche.
Le cahier des charges du chemin de fer dit « de Luxembourg » de 1854, esquissa le tracé du futur réseau : les futures lignes Bruxelles – Namur et Namur – Arlon en fait, avec prolongements jusqu’aux frontières française et grand-ducale, dans les directions de Longwy et de Luxembourg. Ce chemin de fer aurait deux embranchements obligés, l’un vers l’Ourthe et l’autre vers Bastogne. Ainsi trouve-t-on mention pour la première fois de la future artère Libramont – Bastogne – Gouvy, et de la ligne de l’Ourthe, Marloie – Rivage – Angleur. La Grande Compagnie du Luxembourg fut alors constituée dans le but de construire les lignes ferrées correspondantes et de les exploiter.
Aux origines du chemin de fer de Spa à Gouvy et à la frontière grand-ducale
C’est alors que nos voisins luxembourgeois décidèrent d’entrer en négociations avec la Belgique pour l’établissement d’un chemin de fer dans le Grand-Duché et pour sa liaison avec les lignes de chemin de fer belges. Ainsi, la Compagnie de droit luxembourgeois « Guillaume Luxembourg », qui avait vu le jour à la suite de ces contacts pour atteindre la ligne belge près d’Arlon, obtint, en Belgique, la reprise de la concession d’une voie de chemin de fer existante, qui reliait Pepinster à Spa par la vallée de la Hoegne : une ligne d’intérêt local, à l’origine en cul-de-sac, livrée au trafic par la compagnie du « chemin de fer de Pepinster à Spa » en 1854 et 1855 afin de relier Spa, ville d’eaux très prisée à l’époque, à la grande ligne Bruxelles – Prusse, par Liège-Guillemins et Verviers. La Compagnie Guillaume-Luxembourg lui vit un tout autre intérêt : à condition de la prolonger jusqu’à la frontière grand-ducale, elle pourrait servir à l’acheminement du trafic charbonnier et sidérurgique entre les bassins liégeois, grand-ducaux et lorrains. Une fois la ligne construite, la Compagnie Guillaume-Luxembourg disposerait d’un itinéraire propre et pourrait faire concurrence à la ligne de l’Ourthe dont la construction était à peine commencée à l’époque de ces tractations. Sitôt dit, sitôt fait : dès 1862, par convention internationale signée entre la Belgique et le Grand-Duché, celui-ci prenait l’engagement d’assurer l’exécution d’une ligne de chemin de fer depuis Luxembourg jusqu’à Ettelbruck et la frontière dans la direction de Vielsalm, tandis que le gouvernement belge s’engageait à la prolonger jusqu’à Spa. C’était le futur « Chemin de fer de la Jonction belge-grand ducale » qui devait constituer, entre Luxembourg et Liège, une voie un peu plus courte que celle de la vallée de l’Ourthe en projet à l’époque : 165 kilomètres au lieu de 180.
En application de cet arrangement international, la totalité de la ligne sur territoire belge entre Spa, Stavelot, Trois-Ponts, Vielsalm et Gouvy fut ouverte à l’exploitation le 20 février 1867… moins d’un an après la mise en exploitation de la ligne de l’Ourthe, sa concurrente directe. Ainsi, le village de Gouvy était desservi par le chemin de fer. Il était même doté d’un bâtiment de gare spacieux vu son statut de gare frontalière, située à deux kilomètres à peine du Grand-Duché : cet édifice originel, heureusement préservé, est toujours fonctionnel aujourd’hui : une longue bâtisse trapue, couverte d’une bâtière débordante. SNCB-Holding vient d’en faire ravaler les murs extérieurs, avant de procéder à son reconditionnement intérieur.
La ligne de l’Amblève
Revenons à ce premier tronçon de la future « ligne de l’Amblève », Liège – Gouvy, ainsi ouvert au trafic, mais avec une orientation toute différente : la section Trois-Ponts – Rivage n’existant pas, les trains de marchandises joignant l’est de la France et le Grand-Duché au bassin liégeois, devaient transiter par Stavelot, Spa et Pepinster… Ce n’était pas une sinécure, vu la sévérité du profil entre Sart-lez-Spa et Nivezé…
Mais l’histoire de la ligne Pepinster – Spa – Trois-Ponts – Gouvy ne s’arrête pas là… La Compagnie de l’Est français allait entrer en scène : son ambition était de créer, au départ de sa région d’origine, un réseau ferroviaire européen. Elle prit à bail en 1868, tant au Grand-Duché qu’en Belgique, la totalité du réseau Guillaume-Luxembourg. Dès ce moment, la liaison Pepinster – Gouvy et au-delà passa sous contrôle français : elle fut même exploitée avec du matériel de l’Est français, et notamment des voitures à impériale… Gouvy vit s’arrêter deux paires de trains directs Liège-Guillemins – Luxembourg via Pepinster, Spa et Gouvy dès le 1er janvier 1870. Mais qui, parmi les villageois de Gouvy, pouvait se payer le luxe de prendre le train à une époque où les tarifs n’étaient pas vraiment démocratiques et où l’horizon des gens était limité aux villages voisins… ?
Passons à la grande politique : 1870, c’est l’époque de la guerre franco-allemande. Le gouvernement belge s’inquiète de l’emprise progressive des compagnies étrangères sur un mode de transport vital pour l’économie du pays, sinon pour sa défense. Il s’oppose aux projets de rachat de la Grande Compagnie du Luxembourg belge par la Compagnie des Chemins de fer de l’Est français et se met à racheter progressivement les lignes jadis concédées. Ainsi, la Grande Compagnie du Luxembourg fut-elle rachetée par l’État et la ligne internationale Pepinster – Spa – Trois-Ponts – Gouvy nationalisée dès 1872.
Une fois propriétaire de l’infrastructure ferroviaire, l’État en rationalisa l’exploitation dans la région, grâce à la construction d’une liaison entre l’artère Spa – Trois-Ponts – Gouvy et la ligne de l’Ourthe. Le tracé épouserait l’étroite vallée de l’Amblève : de la gare de Rivage, non loin du confluent entre l’Ourthe et l’Amblève, une bifurcation donnerait accès à une ligne ferrée à simple voie et en rampe continue de quatre à sept pour mille. Celle-ci fut mise en construction – en même temps que la route qui lui est parallèle d’ailleurs -, toucha Stoumont en 1885, et Trois-Ponts trois ans plus tard. Sa construction exigea des investissements considérables : non moins de huit tunnels durent être percés dans des sites souvent peu accessibles, et plusieurs viaducs durent être érigés. Aujourd’hui, l’intérêt de cette relation nous semble évident : offrir une liaison directe entre Liège et le Grand-Duché de Luxembourg. Pourtant, avant la Première Guerre mondiale, il n’y eut aucun service international de voyageurs sur la ligne de l’Amblève, dont Gouvy était en quelque sorte le terminus. Elle offrait en fait une desserte locale assez médiocre, vu le caractère encaissé et sauvage de la vallée de l’Amblève, qui a poussé l’habitat sur les crêtes… Cette situation provoquera plus tard, dans la vallée de l’Amblève, une désaffection marquée vis-à-vis du chemin de fer, incapable de « faire du porte-à-porte ». Par contre, le trafic marchandises, notamment de minerais à l’époque de la découverte de la « minette » lorraine, passa désormais par la ligne de l’Amblève, et fit ainsi l’économie du détour et des rampes audacieuses de la ligne Spa – Trois-Ponts.
Gouvy, nœud ferroviaire
Dès 1885, la gare de Gouvy devint gare de correspondance, par le prolongement, via Bourcy et Tavigny, de la ligne Libramont – Bastogne, ouverte au trafic en 1869 par la Grande Compagnie du Luxembourg. Le prolongement jusqu’à Gouvy et à la ligne internationale, instamment demandé par les populations locales, et notamment par les agriculteurs, fut tracé par les crêtes, sur quelque trente kilomètres. À l’époque, certains rêvèrent même à l’établissement d’une liaison directe entre Gouvy et… Sedan !
D’autres travaux ferroviaires, beaucoup plus amples cette fois, attendaient les cheminots de Gouvy pendant la Première Guerre mondiale. L’initiative revint à l’occupant prussien, préoccupé par la carence en voie de communication rapide entre le Rhin et le « front de Verdun ». Ainsi, dans la région, les Prussiens portèrent-ils la ligne de l’Amblève à double voie. En outre, à Rencheux, au nord de Vielsalm, ils posèrent un triangle afin de permettre le raccordement à une ligne transversale neuve et à double voie, rejoignant la Vennbahn (axe nord-sud Aix-la-Chapelle – Saint-Vith – Troisvierges) à Born, via Recht et Ligneuville. Quant à la gare de Gouvy, elle reçut un second affluent entièrement neuf et à double voie, en provenance de Saint-Vith via Maldange; cette artère, ouverte au trafic militaire en février 1918 semble-t-il, trouvait son prolongement naturel dans la ligne Gouvy – Bastogne – Libramont, portée elle-même à double voie, et au-delà vers Bertrix – Muno – Messempré et Carignan : une voie de pénétration idéale de la Prusse vers le front situé dans l’est de la France.
Mais seuls les trains militaires parcoururent un itinéraire aussi extravagant à nos yeux… Une fois la paix retrouvée en 1918, la gare de Gouvy, elle-même agrandie, se retrouva flanquée de deux affluents à grand débit, disproportionnés par rapport aux besoins locaux. Quant au village lui-même, il s’étendit progressivement, car de nombreux cheminots s’y installaient : le chemin de fer était devenu le premier employeur de la région. Gouvy avait été flanquée d’une remise à locomotives et d’ateliers divers, tandis que le trafic de marchandises de transit entre la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg ne cessait de croître. Le plus célèbre courant de trafic fut sans doute les célèbres trains de coke qui, pendant près d’un siècle, relièrent journellement les cokeries d’Alsdorf (près d’Aix-la-Chapelle) et les usines sidérurgiques implantées dans le sud du Grand-Duché : sur 226 kilomètres, ils empruntaient la totalité de l’axe constitué par la ligne de l’Amblève et de son prolongement grand-ducal, surnommé là-bas la « Ligne du nord ». À Gouvy, station frontalière, on procéda pendant longtemps à l’échange de locomotives… et à l’allège des lourds trains jusqu’au faîte de Bellain, à la frontière grand-ducale. Il faut savoir que la gare de Gouvy est en fait installée dans une cuvette : à Bellain, se trouve l’endroit précis de la ligne de partage entre le bassin hydrographique de la Meuse et celui du Rhin.
Par contre, les deux affluents de la ligne de l’Amblève – vers Bastogne et Saint-Vith – ne connurent pas le même essor : ils furent exploités sur le mode mineur du trafic local pendant l’entre-deux-guerres et ne résistèrent pas au développement des modes de transport par route. Les dommages très importants créés à son infrastructure pendant la Seconde Guerre mondiale condamnèrent la ligne Gouvy – Saint-Vith après la Libération… mais son implantation laisse des traces dans le paysage de la région : ainsi en est-il pour des ouvrages d’art qui semblent avoir été construits pour défier l’éternité, comme le viaduc qui barre toujours aujourd’hui le paysage du village de Neundorf près de Saint-Vith. Quant à la ligne Gouvy – Bastogne, dont le trafic voyageurs et marchandises végétait, elle disparut avec l’application du plan IC-IR de 1984. Son assiette est aujourd’hui intégrée dans le projet wallon RAVeL.
Quelques aspects contemporains de l’activité ferroviaire de Gouvy
La remise à locomotives
La remise de Gouvy est « apparue dans les écritures » comme l’on-dit dans le langage administratif, en 1924. Dès l’origine, elle fut titulaire des célèbres locomotives à vapeur de ligne type 81 et de manœuvre type 53 et ce, jusqu’à leur retrait du service. Savez-vous, que, après l’extinction officielle de la traction vapeur sur le réseau de la SNCB le 20 décembre 1966, la remise de Gouvy fut le dernier établissement belge à se servir encore de trois locomotives type 81… jusqu’au 10 janvier 1967.
Plus près de nous, les anciens se souviennent encore d’une autre belle époque de la remise de Gouvy. Dans les années septante en effet, le dépôt comptait non moins de 68 conducteurs et la remise était titulaire d’un lot de célèbres locomotives diesel de ligne série 55 – surnommées « poêles à mazout » par le personnel – et de manoeuvres série 82. La remise n’a-t-elle pas abrité les « 55 bleues », ces engins modifiés spécialement pour remorquer sur la ligne de l’Amblève les derniers trains internationaux de la SNCB remorqués en traction diesel, et dont il fallait chauffer les voitures en mode électrique ?
Les conducteurs de Gouvy se rappellent qu’ils allaient jadis jusqu’à Montzen et même Aix-la-Chapelle-Ouest notamment pour y prendre en charge les trains de coke, composés des célèbres wagons « Talbot », reliant quotidiennement les cokeries d’Alsdorf et les usines sidérurgiques de la vallée de l’Alzette : ce trafic séculaire n’existe plus depuis 1992, suite à l’extinction des derniers hauts-fourneaux au Grand-Duché de Luxembourg et le remplacement de ce plus vieil outil sidérurgique, venu tout droit de la Révolution Industrielle, par des aciéries électriques. Ils assuraient aussi les trains auto-couchettes au départ de Maastricht, un trafic supprimé lui aussi pour cause de manque de rentabilité économique… tout comme « L’Ardennais », singulier train « T » avant la lettre, qui reliait Anvers à Bastogne à la belle saison, avant d’être détourné vers Ettelbruck. Au sud, ils allaient jusqu’à Luxembourg, en tête des trains internationaux, notamment le célèbre « 134/135 », qu’empruntaient les immigrés italiens pour rentrer passer les vacances chez eux, mais aussi à Bastogne, Libramont et Bertrix, grâce aux autorails série 44 et 45, qui disparurent de Gouvy à la fermeture du tronçon Gouvy – Bastogne en 1984. En trafic marchandises, ils pilotaient en outre le caboteur Gouvy – Bastogne-Sud, et assuraient le trafic du bois à Limerlé, Tavigny, Bourcy et Bastogne-Sud où ils procédaient en outre au ravitaillement du dépôt de carburant Esso. Comment ne pas oublier la desserte de l’ancien dépôt de l’OTAN de Bovigny, des cours à marchandises de Vielsalm et Trois-Ponts, et surtout la desserte de la partie sud du défunt réseau ferré des Cantons de l’Est . Ainsi, les conducteurs de Gouvy assuraient-ils avec leurs locomotives série 82 le trafic de cabotage tantôt vers Malmédy, Wévercé et même Losheimergraben, à la frontière allemande, tantôt vers Saint-Vith, via Waimes. Lorsque le trafic local fut supprimé sur ces lignes, la remise de Gouvy assura les lourds trains de bois pour la scierie de Bullange et les trains militaires pour le camp militaire d’Elsenborn, via la gare de Sourbrodt, jusqu’à leur suppression à la fin de l’année 2003.
Aujourd’hui, tous ces trains ne sont plus qu’un souvenir…
Quant à la remise elle-même, elle a été fermée au courant de l’année 1997 : ses bâtiments sont coupés des autres voies de Gouvy depuis l’an dernier.
La Gare de Gouvy en 2006 : un établissement exclusivement voué aux voyageurs
Ne le cachons pas : la survie de l’axe ferroviaire Liège – Luxembourg par Gouvy a été menacée au début des années quatre-vingt. Il doit sa pérennité notamment… aux projets TGV. La création de l’axe à grande vitesse Paris – Bruxelles – Liège – Francfort au nord et la liaison entre la capitale luxembourgeoise et la ligne TGV franco-allemande Paris – Strasbourg – Francfort ont donné à la ligne Liège – Gouvy – Luxembourg une nouvelle dimension : une ligne de maillage du réseau à grande vitesse européen. C’est surtout dans cette perspective que notre ligne a finalement été maintenue, modernisée et électrifiée.
C’est ainsi que les caténaires 25 kV ont fait leur apparition en gare de Gouvy en deux épisodes : vers le sud d’abord et le Grand-Duché de Luxembourg en 1993, vers le nord ensuite et Rivage en 1999 et 2000.
Mais n’oublions pas l’essentiel : le chemin de fer n’est rien sans les hommes et les femmes qui le font fonctionner. La zone de Gouvy comprend aujourd’hui les gares de Gouvy et de Vielsalm, ouvertes 24 heures sur 24. Infrabel-Réseau y met en poste un chef de zone, huit sous-chefs de gare, six sous-chefs de gare adjoints, un commis de factage, dix-sept signaleurs de 1re classe, deux visiteurs de matériel, sept agents de triage et deux chargeurs. Parmi ceux-ci, plusieurs sont en poste à Vielsalm : en matinée, une équipe de trois cheminots (un sous-chef de gare adjoint, un signaleur de 1re classe et un chargeur), l’après-midi un sous-chef de gare adjoint, un signaleur de 1re classe. Pendant la nuit, le sous-chef de gare adjoint est seul en gare.
Au rayon « signalisation », les quatre voies à quai de Gouvy et ses faisceaux marchandises sont commandés par deux cabines « Siemens » typiques. Quant au bâtiment voyageurs originel, il est en cours de reconditionnement interne afin d’accueillir le dépôt des conducteurs de trains et accompagnateurs.
Gouvy et le plus petit train de voyageurs de Belgique
SNCB-Trains dispose d’une trentaine de conducteurs à Gouvy : aux commandes des locomotives série 3000 des CFL – homologues de nos « 13 », ils partagent la conduite des huit paires de trains IR Liers – Liège – Luxembourg avec leurs homologues luxembourgeois des CFL. Ils assurent aussi le train direct Gouvy – Bruxelles-Midi et retour, tracé par la ligne à grande vitesse entre Ans et Louvain, et équipé d’une locomotive série 13 et d’une rame réversible de voitures I 11, qui sera intégré dans le nouveau roulement des IC « O » Bruxelles- Liège en décembre prochain. Enfin, ils desservent les trains de pointe de service intérieur belge entre Gouvy, Liège-Guillemins et Liers, grâce aux trois quadragénaires locomotives série 15 tritension, survivantes des anciens trains TEE et autres trains de prestige Amsterdam – Bruxelles – Paris et autres Liège – Paris, d’avant la desserte « Thalys » : les « 15 » achèvent donc, pour quelques mois encore, leur carrière à Gouvy, où la présence d’engins bicourant est indispensable sur la ligne de Liège, électrifiée en 25 kV alternatif jusqu’à Martinrive, où on retrouve le 3 kV continu « classique » à la SNCB jusqu’à Liège.
Parmi ces trains de pointe, le plus original est sans doute le « train des écoliers », mis en ligne en début de matinée entre Gouvy et Trois-Ponts : il s’agit assurément du convoi pour voyageurs le plus court du réseau ferré belge, puisque la locomotive série 15 tracte… une seule voiture de 2ème classe de type I 6 ou I 10 : de l’avis des accompagnateurs de train de Gouvy, les jeunes voyageurs font régner l’ambiance toute particulière que l’on devine dans ce singulier convoi souvent en surcharge…
Nous l’avons écrit, la gare de Gouvy est aujourd’hui exclusivement consacrée au trafic des voyageurs : depuis décembre 2005 et la création de SIBELIT, les derniers trains de marchandises internationaux ont déserté la ligne Liège – Luxembourg : tout le trafic fret de transit Belgique – Luxembourg – est de la France – Suisse – Italie du Nord passe désormais par l’axe « Athus-Meuse ». Le seul train de marchandises qu’on peut encore apercevoir épisodiquement dans la région est mis en ligne par B-Cargo au départ de Kinkempois, pour desservir à la demande la cour à bois de la gare de Vielsalm.
Le dépôt de Gouvy des accompagnateurs de trains compte aussi une trentaine d’agents : à la différence des conducteurs, ils sont systématiquement relayés par leurs collègues luxembourgeois sur les trains IR soit à Gouvy, soit à Troisvierges. Ces derniers assurent aussi la desserte des deux trains de pointe Gouvy – Luxembourg et retour, assurés par les nouvelles voitures à deux niveaux luxembourgeoises : ces liaisons sont promises à un bel avenir dans le cadre de relations transfrontalières de proximité qui, à l’heure de l’Europe, suscitent un intérêt nouveau dans une région où de nombreux habitants ont trouvé du travail au Grand-Duché.
Terminons le tour d’horizon des cheminots de Gouvy en mentionnant la brigade Infrabel – Infrastructure, forte d’une quinzaine de cheminots et chargée de l’entretien des voies entre Rivage et Gouvy : naguère basée à Gouvy, elle a pris ses quartiers dans les locaux de la gare de Trois-Ponts depuis le 1er janvier de cette année.
Gouvy… un riche passé ferroviaire… un avenir prometteur ?
Les accords intergouvernementaux belgo-luxembourgeois de novembre 2005 concernant l’amélioration des liaisons ferroviaires entre les deux pays ne prévoient pas seulement la finalisation du projet Eurocaprail entre Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg – un projet de longue haleine – et la réouverture au trafic voyageurs de l’axe Virton – Rodange – Luxembourg/Arlon – qui sera effective en décembre prochain, mais aussi l’amélioration de l’offre voyageurs entre Liège et Luxembourg. Les deux gouvernements ont confirmé que ce dernier axe constitue une ligne de maillage du réseau TGV européen. Dans la perspective de la mise en service de la ligne franco-germano-luxembourgeoise « TGV-Est » Paris – Strasbourg/Luxembourg/Francfort en juin 2007 et de la mise en service des nouvelles infrastructures TGV belges entre Liège et l’Allemagne (LGV 3 Chênée – Walhorn) en décembre 2007, la SNCB et les CFL ont été priées de se concerter afin d’optimaliser le concept d’exploitation de la ligne Liège – Luxembourg. Elles ont convenu que des propositions de décision pourraient être présentées lorsque les nouveaux sillons des trains Thalys et ICE Bruxelles – Cologne seraient définitivement connus ; l’horizon 2008-2009 est donc retenu pour l’introduction d’améliorations significatives des services ferroviaires entre Liège – Luxembourg.
À Gouvy, où on nous a réservé un accueil chaleureux pour la préparation de cet article, on attend donc 2008-2009 pour voir…
(1) Philologue classique et historien de formation, monsieur Margane enseigne à Liège.