Kissinger en Ardenne

kissinger-ardenne01Il y a 55 ans…
Avec HENRY KISSINGER en ARDENNE.
par Lambert GRAILET (1999)

L’asbl I.D. Gouvy adresse ses plus vifs remerciements à Monsieur Lambert Grailet, qui, en plus de nous avoir fait découvrir des moments essentiels de l’histoire de notre région, nous a donné l’autorisation de reproduire intégralement son ouvrage : « Avec Henry Kissinger en Ardenne » sur ce site.

Lambert GRAILET, en 1989 à l’occasion du bicentenaire de la Révolution, nous fit découvrir le destin tragique du fils naturel de Velbrück, prince évêque vénéré de Liège. Le Lt. Colonel Charles François Grailet (1762-1799) tomba pour la République à la tête d’une charge héroïque du 5e Hussard. Fruit d’une longue et persévérante recherche, cet ouvrage révélait le côté original, fouillé et inédit qui caractérise toutes les publications de l’auteur liégeois.

Pour la commémoration (1994-95) du cinquantenaire de la Libération et de la Victoire, Lambert GRAILET fit paraître une SERIE «V» de trois études, aux thèmes si inattendus qu’elles apportèrent un éclairage nouveau sur les armes secrètes allemandes utilisées dans les derniers mois de la guerre. La renommée de cette trilogie fit connaître notre auteur à l’étranger :

  • Liège sous les V 1 et V 2 : « On n’avait connaissance que d’un pan de la vérité. Le bilan des chutes sur la Cité ardente est revu à la hausse. Plus de 2000 personnes en auraient été victimes ! »
  • Première mondiale pour le V 2 sur Paris : «L. Grailet y a consacré deux ans de recherches … L’historique du premier V 2 opérationnel, lancé depuis l’Ardenne belge, passionnera nos lecteurs».
  • Le V 3 harcèle Luxembourg « La brochure de L. Grailet est sérieusement recherchée, dotée de références bibliographiques et illustrée par des photos, des cartes et des dessins techniques».

En 1998, pour rappeler la dernière «ruée vers l’or» dont l’Ardenne-Eifel avait été le théâtre il y a cent ans, Lambert GRAILET publiait un condensé des archives qu’il rassemblait depuis plus de vingt ans, sur un sujet des plus passionnants : DE L’OR EN ARDENNE. Si l’énoncé du titre suscite l’idée d’un récit où légende et folklore dépasseraient la réalité, c’est au contraire à l’élaboration d’un dossier extrêmement fouillé que l’infatigable chercheur s’est livré. L’auteur y étaye son raisonnement à l’aide de 200 notes et références de qualité historique et scientifique, de témoignages fiables, d’une vulgarisation qui met son texte à la portée du profane, mais aussi d’une iconographie explicative et probante. La présence du métal précieux, dans le sous-sol de l’Ardenne belge, n’est pas un mythe, mais une réalité !

En l’an 2000, Lambert GRAILET nous propose une SERIE « Fastes » qui maintiendra le caractère original et inédit de ses précédentes publications à succès. Cette trilogie débute avec « HENRY KISSINGER EN ARDENNE » … C’est la description du contexte difficile et périlleux au sein duquel la destinée d’un futur «grand de ce monde» prendra son envol. Celui qui deviendra Prix Nobel de la paix en 1973 était alors simple G.I. de la modeste compagnie « G», au 2e bataillon du 335e régiment de la glorieuse 84e division d’infanterie américaine.

Pas à pas et jour par jour, en suivant les fastes de cette petite unité, emportée dans les aléas de la reconquête du Saillant offensif, l’auteur met en exergue le subtil mouvement stratégique du repli qu’exécuta l’arrière-garde allemande, face à la menace d’un «Stalingrad» en Ardenne. Combien fut grand le rôle joué là, par le «goulet d’étranglement d’Achouffe » et «le couloir des invasions N.827» !

Lambert GRAILET se complaît, une fois de plus, à nous livrer de nombreux faits restés ignorés depuis plus d’un demi-siècle.

Pour ne citer qu’un exemple, sait-on que «Deux Prix Nobel de future notoriété mondiale sont passés par BEHO (Gouvy) au cours de ses deux libérations successives : Ernest HEMINGWAY et Henry KISSINGER !»

AVANT-PROPOS.

En mai 1981, lors d’une conférence donnée à Bruxelles, un journaliste attentif recueillait les propos tenus par Henry A. KISSINGER, l’un des personnages les plus importants de la politique internationale des cinquante dernières années : «Je suis déjà venu en Belgique… C’était avec la 84th Infantry Division, lors de la bataille des Ardennes », confiait-il à Marc Eyskens, alors premier ministre (1).

Tel fut le point de départ de nos recherches dont le résultat lève le voile sur une période difficile que vécut un simple G.I., peu différent de ses frères d’armes si ce n’est par le fait d’avoir acquis officiellement la nationalité américaine alors qu’il portait déjà le battle-dress des incorporés. La famille Kissinger aurait-elle quitté l’Allemagne de 1938, si l’antisémitisme n’y avait sévi avec tant d’acharnement ? Son patronyme, porté par ses ancêtres les plus lointains, provient d’ailleurs d’un toponyme hessois connu (Bad-Kissingen) et la famille juive Kissinger ne se souvenait pas d’une autre origine que la patrie allemande. En mai 1998, l’ancien secrétaire d’État américain fut encore reçu en grandes pompes, dans sa ville natale de Furth en Bavière, où il est désormais considéré comme citoyen d’honneur à part entière (2).

Dans un creuset de situations infernales telles qu’en connut la Bataille du Saillant, de grands destins trouvèrent les conditions favorables à leur envol. Dangers constants, épreuves physiques ou morales et conditions de vie anormales constituent souvent le tremplin nécessaire pour se hisser au-dessus des autres. Combien de personnages importants, alliés ou Allemands, ne sont-ils pas sortis du lot au banc d’épreuve ardennais, non seulement pour briller dans la carrière militaire, mais encore dans bien d’autres domaines où ils n’avaient jamais imaginé de figurer.

Le secteur opérationnel désigné à la 84th Infantry Division, en janvier 1945, est connu depuis toujours pour les conditions atmosphériques rigoureuses qui y règnent en hiver. Quel climatologue contredirait l’appellation « Sibérie belge » que l’écrivain ardennais Adrien de Prémorel attribuait à cette « terre bréhaigne, farouche et taciturne» que représente la vaste pénéplaine fangeuse et brumeuse du Plateau des Tailles. Il y neige plus tôt, plus tard et plus fort qu’en n’importe quel coin du massif ardennais, si ce n’est en Hautes Fagnes vers Botrange. La bise polaire soufflait sur la contrée qui environne la Baraque de Fraiture et fouettait les combattants qui affrontaient tout autant la tempête boréale que le feu mortel des armes ennemies. L’épaisseur de la neige connaissait alors son niveau gênant. Le décor théâtral d’un «enfer glacial en Ardenne» était planté. De cette épopée, le souvenir restera gravé à jamais dans la mémoire des acteurs alliés ou allemands qui en réchappèrent… Mais Henry A. Kissinger a rarement évoqué cette expérience personnelle de la guerre. Une telle pudeur est très compréhensible de la part d’un diplomate d’envergure dont l’oeuvre consista à éviter, dans le monde, les conflits sanglants. C’est donc à travers les fastes et archives de son unité combattante que nous pourrons en savoir davantage sur la destinée de celui «qui pèsera un jour de toute sa puissance invisible sur la politique internationale » (3).

Au docteur J.M. DEHALLEUX (Malmedy), à qui son Ardenne natale confie tous les secrets ! Il m’a mis sur la piste du simple GI qui devint un «grand de ce monde»…

Lambert Grailet (1999)

1. L’AMÉRICANISATION DE «HEINZ» KISSINGER

En février 1943, alors qu’il n’avait pas 20 ans, une lettre transformerait la vie de celui qui, jusque-là, n’ambitionnait que de devenir expert-comptable. « Heinz », devenu Henry aux USA, était appelé sous les drapeaux. Après avoir prêté le serment préalable, avant même d’avoir acquis sa naturalisation, il fut désigné pour le Camp Craft à Spartanburg en Caroline du Nord. Notre conscrit était peu différent des autres appelés, sauf par sa remarquable réussite des tests d’aptitude et de sélection (4). De ce fait, il avait été retenu parmi les plus doués pour un programme d’études supérieures aux frais de l’armée, dans des collèges réputés. Les exigences de la guerre en décideront autrement : il fallait des combattants.

En avril 1944, Henry se voyait désigné pour la 84th Infantry Division et il rejoignait le Camp Claiborne en Louisiane, où il connaîtra une mise en condition physique intensive qui le retiendra tout l’été. Selon son père, ex-enseignant au Lycée des Filles de Fürth près de Nuremberg en Bavière, cette période le rendra très malheureux au point de confier aux intimes qu’ « il était aigri de son propre sort». Un compagnon de chambrée le décrira comme « un soldat solitaire qui n’adressait pas spontanément la parole aux gens et n’établissait pas de contact humain». À sa décharge, il faut admettre que l’accent rocailleux avec lequel il s’exprimait à l’époque ne facilitait pas ses relations avec des germanophobes prêts à partir en guerre contre les Allemands et moins encore avec des antisémites comme il en existe. Un de ses frères d’armes, présent à Houffalize en janvier 1995 lors de la Commémoration, nous confia d’ailleurs qu’on le surnommait «Ja» en raison de sa façon de répondre affirmativement avec son accent bavarois.

Toutefois, c’est au Camp Claiborne qu’il va faire une heureuse rencontre avec un personnage dont l’influence orientera son avenir. Un certain Fritz Kraemer, avocat prussien exilé aux USA depuis l’avènement de Hitler, était chargé d’expliquer aux recrues les raisons pour lesquelles ils allaient bientôt se battre. Impressionné par la personnalité de ce conférencier à monocle, à l’accent familier, Kissinger se décida à sortir de sa réserve habituelle. Ce Fritz Kraemer, rien que second-class, osait même traiter à l’égal avec les plus hauts gradés ! Une solide amitié naîtra entre les deux germanophones qui y trouveront chacun leur compte : Heinz le taciturne sortira de ses réserves au contact de Fritz le volubile ! Si l’un acquiert peu à peu l’aplomb nécessaire à sa pleine intégration, l’autre se flattera toujours d’avoir décelé l’exceptionnel esprit d’observation dont son jeune protégé fera la preuve par la suite. En fait, son catalyseur psychologique F. Kraemer ne cessait de lui répéter : «Tu es incroyablement doué… Tu es quelque chose d’absolument unique» … À travers leurs interminables discussions dans la langue de Goethe, deux êtres d’intelligence peu commune, deux fois compatriotes de surcroît, s’étaient reconnus (5).

kissinger-ardenne02Jugée apte à affronter les pires épreuves, la 84th Infantry Division s’embarqua pour l’Europe en fin septembre 1944, après s’être rassemblée au Camp Kilmer près de Philadelphie. Les vagues insouciantes de la première libération de l’Ardenne par les Américains exerçaient alors leur ressac contre les falaises du Westwall, plus résistant que les Alliés ne le supposaient. Du sentiment trop optimiste de leur victoire prévisible à court terme, il résultera du temps gagné par les stratèges allemands dont les projets insoupçonnés ne crouleront qu’au prix d’une seconde libération bien plus sanglante que la précédente et vécue cette fois par une Ardenne affligée (6)… À la mi-décembre, alors que l’épée de Damoclès pendait au-dessus de notre région, la 84th Infantry Division était en ligne au nord d’Aix-la-Chapelle. Ses trois régiments divisionnaires, c’est-à-dire les 333e, 334e et 335e, prouvaient qu’ils formaient désormais «une machine de guerre redoutable et prête aux opérations de grande envergure » (7). Sous les ordres du major général Alexander R. Boiling, la division relevait de la 9e Armée du général Simpson. Elle avait pour mission de réduire des bastions parmi les plus coriaces du Westwall. Depuis leur baptême du feu du 26 novembre 1944 et au prix d’actions très coûteuses en vies humaines, les Railsplitters (briseurs de rails) n’avaient cessé de démontrer leur remarquable combativité face à un ennemi qui défendait son Vaterland avec opiniâtreté.

Simple soldat mentionné comme Pfc (Private first-class), Doughboy, à l’instar des autres appelés, le futur Prix Nobel de la paix 1973 figurait au matricule du 2e bataillon du 335th Infantry Regiment et précisément au rôle de la Company G (8). Celle-ci opérait alors dans le secteur Lindern-Geilenkirchen, à l’ouest de la rivière Rur où existaient des bastions quasi inexpugnables de la Ligne Siegfried. Le 16 décembre 1944, la Compagnie «G» avait pris Lindern et tenait ses positions face à une violente contre-attaque d’un bataillon allemand, sans doute stimulé par l’annonce de la contre-offensive Wacht am Rhein en Ardenne-Eifel. On imagine combien pouvait alors être utile, pour des supérieurs, d’avoir à leur disposition immédiate un soldat parfaitement bilingue comme l’était le Pfc Kissinger. Cette capacité enviable fut sans doute mise à profit dès que l’unité opéra en territoire germanique. D’ailleurs, quel officier sensé aurait omis d’en appeler aux services d’un tel interprète, aussi intelligent et fiable, lors des nécessités d’interroger les prisonniers ou des civils allemands ? Mais l’unité changerait de région linguistique.

Dans la nuit du 19 au 20 décembre 1944, la 84th Infantry Division recevait l’ordre de quitter l’Allemagne, alors qu’elle venait pourtant de s’emparer des villages de Würm et de Mühlendorf, sur la Ligne Siegfried. Aussitôt relevée de ses positions par la 102nd US Division, elle passerait de la 9th US Army à Ia 1st US Army de Courtney H. Hodges et ferait ainsi mouvement vers Marche en Famenne. Le mercredi 20 décembre peu avant 19 h., la jeep du général Alexander R.Bolling franchissait I’Ourthe à Hotton et y recueillait les premières données d’une situation préoccupante. Derrière lui vers 22 heures, alors qu’il n’avait pu l’avertir à temps, le long convoi de son 334th Regiment défilait tous phares allumés dans Hotton, sans se douter du désastre fatidique possible : l’avant-garde du «Kampfgruppe Bayer», fer de lance de la 116.Pz. Division « Windhund», était en passe d’exécuter son coup de main sur le pont local, enjeu stratégique d’importance !! Quant aux 333th et 335th Rgts, informés à temps du détour, le premier quittera l’Allemagne dès sa relève, tandis qu’une partie de l’autre sera retardée pour diverses raisons. Ainsi, sa Compagnie « G » ne partira vers Aachen, Verviers et Liège qu’à l’aube du 23 décembre, pour arriver tard dans l’après-midi à Marche-en-Famenne (9)… Devant l’urgence à faire face à une situation des plus alarmantes, l’unité fut de suite affectée au périmètre défensif de la localité. Dès l’arrivée, les bons derniers prirent aussitôt la route en marche forcée et gagnèrent leurs positions au sud de la cité. D’humeur maussade comme le temps, les fantassins éreintés connurent une première nuit glaciale dans les granges de Waha.

kissinger-ardenne03Le lendemain matin, veille de Noël, deux pelotons (c.-à-d. environ 80 fusiliers) recevaient l’ordre de prendre position plus au sud, d’y creuser des foxholes et de constituer ainsi un maillon défensif qui, en cas de rupture, signifierait la porte ouverte sur un noeud routier d’importance. En face, sur la N.896 Harsin-Hargimont, le grincement caractéristique des chenilles de panzers se faisait entendre, comme si leur colonne détournait sa progression vers l’ouest. Éviteraient-ils Marche ? La désignation de 18 hommes du 3e peloton pour Marloie, d’où ces tanks pouvaient aussi gagner la cité, déforçait le barrage en place : ce détachement emportait des cocktails Molotov, des bazookas et une arme anti-tank. Devant Waha, le fond des trous individuels était garni d’un peu de paille, mais on n’y attendait pas le moindre repas chaud tant l’accès aux positions était verglacé. Chez certains soldats, les pieds humides gelaient déjà. Les «médics» recommandent d’enlever les bottines pendant 20 minutes par jour, mais que faire si une patrouille de Krauts surgit à ce moment ? C’est la mort à coup sûr ! Ce jour-là, pour les fusiliers terrés dans leurs trous en attendant le choc éventuel, telle situation sibylline apparaissait plutôt désespérée. Quelques-uns des hommes les plus hardis de la compagnie se risquaient même très en avant, pour se faire une idée personnelle. Ils racontaient que « la file des panzers s’étendait à perte de vue… La surveillance du vide existant, entre les compagnies ‘G’ et ‘E’, n’était assurée que par des patrouilles passagères». En effet, une lacune de deux kilomètres séparait les positions de ces deux unités sœurs.

Par contre, une rumeur plus rassurante rendait un brin d’espoir : depuis deux jours, la 3rd Armored Division avait dépêché une partie de sa force blindée dans le secteur ! Entre autres son performant groupe de combat Doan, arrivé d’urgence depuis l’Hertogenwald où il neutralisait l’action des paras allemands de Von der Heydte, appuyait le secteur imparti à la 84e division d’infanterie. Depuis son entrée en lice, cette formation s’opposait aux intentions les plus évidentes de la 2.Pz. Division d’investir Marche. Si cette «Trident», enfin ravitaillée en carburant à Tenneville, reprenait son mouvement sur la N.4 Bastogne-Marche, il fallait aussi s’attendre à l’irruption de la 116 Pz.Division, forte de son approvisionnement providentiel trouvé à Samrée ! Car la veille, un groupe de PanzerGrenadiere de la «Windhund», arrivé «par le fond de La Rochette et les chemins détournés de Grimbiémont», avait même opéré une jonction brève avec des éléments de pointe de la 2. Pz. Division «Trident», au carrefour de Hollogne… là où la Compagnie E du 335th Infantry Regiment avait défendu les lieux avec honneur (11).

Dans le contexte alarmant du 24 décembre 1944, l’autre Task-Force Blanchard tenterait encore de sectionner l’axe Harsin-Hargimont-Havrenne-Buissonville, où le flux des panzers s’écoulait en direction de la Meuse. Les lignes de la Compagnie «G», proches de La Hèdrée donc à courte portée de Hargimont, étaient alors concernées. L’objectif du groupe Blanchard portait en effet sur ce village. Les lignes de la compagnie subiront deux attaques dissuasives des Allemands sans intervention de leurs panzers, mais appuyées par les tirs de leurs redoutables 88 mm. Du côté américain, le barrage des mortiers y répondrait à la cadence de 260 salves en une heure. Le soir, les lignes respectives se retrouvaient à leur point de départ. La zone de combat avait surtout été battue en brèche par un duel d’artillerie.

Le jour de Noël fut ensoleillé, sans nuages dans le ciel, sauf des traces laissées par des escadrilles de B17 et B24 qui narguaient la Flak ennemie. Aucun office religieux n’était possible, mais des cadeaux et une portion de dinde froide avaient été distribués ! Le trop profitait à quelques braves villageois restés à Waha, qui couraient les mêmes risques que la troupe. Dans les jours suivants, la situation tendue n’empira pas… Au cours de son séjour à Waha, les pertes de la Compagnie «G» seront dues aux accrochages entre patrouilles, à des tirs de «snipers» embusqués, mais surtout aux échanges d’artillerie. Le soir du 29 décembre, l’unité était relevée et déménageait en direction de Hollogne où des groupes allemands hantaient les collines boisées des environs. Il fallait les en chasser au prix d’approches très risquées. À minuit juste de la Saint-Sylvestre, «New Year’s Eve», les ennemis abattaient une carte qu’ils tenaient en réserve : ils déclenchaient un tir d’artillerie lourde, si bien ajusté sur la zone du Q.G. de Marche qu’on l’aurait cru dirigé par des observateurs en place ! Le jour du Nouvel An, peu après un autre repas traditionnel à la dinde, cette fois mieux accommodée qu’à la Noël, on assisterait à la relève de la Company G par des éléments de la 53rd Welsh Division, du XXX British Corps.

Pendant ces neuf jours passés au secteur défensif de Marche, la compagnie «G» avait apporté sa très modeste pierre à l’édifice.., si édifiant quant à la façon décisive dont la stratégie US tranche la difficulté quand un péril la menace : «Un quart de tour inattendu à gauche ou à droite… Une mobilité classique des unités qui se traduira par un déplacement considérable de la logistique, même celle de toute une armée au combat !», citait le regretté commandant H. Mayon (CDH Evere) quand il évoquait le génie brutal de Patton (12). Pour réaliser un tel coup d’arrêt, il fallait être riches, dispendieux, réalistes, hardis et se poser en gardiens de l’esprit des pionniers. Ces principes font que les jeunes «made in USA» s’assimilent aux héros de leur histoire.

En face des G.I’s défenseurs de Marche, il y avait l’ordinaire de ceux qui se satisfaisaient d’une maigre choucroute plutôt que d’un plat traditionnel mijoté. Trois mois avant, nombre de ces Allemands avaient sillonné l’Ardenne avec la mission insoupçonnée de freiner l’avance U.S. par des actions retardatrices, afin que le Westwall ait le temps d’être réaménagé à la hâte. Devoir accompli, les Kampfgruppen à la logistique quasi inexistante gagnaient alors des zones de «rafraîchissement» pour y reconstituer leur effectif divisionnaire, réduit à sa plus simple expression depuis la France. Par exemple, les 14.000 hommes de la nouvelle 2.Pz. Division (qui avait rejoint l’Eifel avec 3 chars, en septembre !) réapparaissaient avec l’appui blindé de 49 Panther, 26 Panzers IV et 45 canons autopropulsés Sturmgeschütz dont les besoins en carburant, indispensables à une percée victorieuse, n’étaient nullement assurés. Quel pouvait avoir été le moteur d’un redressement aussi inattendu de la part d’une nation considérée comme aux abois ? Serait-ce la tradition militaire, la notion du devoir et de la discipline constante ou du patriotisme à la spartiate inculqué par les chantres culturels de ses héros mythiques ou historiques ? En tout cas, le général baron Hasso von Manteuffel exprimera plus tard la pensée personnelle qui présidait à son commandement de la 5.Panzer-Armee, lors de l’Offensive hivernale en Ardenne : «Une nation comme la nôtre souffre, mais ne meurt pas » (13).

Pendant le séjour à Waha, un incident avait soulevé les commentaires d’un foxhole à l’autre. Un certain G.I. M.L. Johnson, du service médical, en était la vedette. Au cours de ses tâches de secourisme aux avant-postes, il avait été fait prisonnier par un Allemand fortement armé. Pendant cinq heures de discussion, en partageant ses rations «K», Johnson s’était évertué à convaincre son maître avec succès : à son avis, la meilleure chose à faire était qu’il se rende ! Et de concert, les deux avaient finalement regagné les lignes américaines (14) . Cette anecdote n’était pourtant pas si anodine qu’on aurait pu le penser. Sans s’affronter physiquement, des ennemis en guerre, de formation et de culture différentes, avaient choisi le dialogue pacifique pour délibérer sur le sort commun qui leur serait le plus favorable… Quelque part sur ce théâtre opérationnel, au même moment et à peu de distance, se trouvait le simple soldat Henry Kissinger que le destin aurait pu appeler à jouer les deux rôles d’une telle scène dramatique. En effet, sans l’antisémitisme et son exode aux USA, il aurait inévitablement revêtu le feldgrau de sa patrie, comme le firent les Juifs allemands de 1914-18. Par contre, de vocation peu belliqueuse, mais guidé par son serment et ses devoirs envers son battle-dress américain, n’aurait-il pas fait appel à ses talents innés de diplomate s’il s’était trouvé à la place du «médic» Johnson ? Plus tard, lorsque notre futur Prix Nobel de la paix se verra chargé de missions en vue de la réorganisation publique de certains secteurs d’une Allemagne écrasée, ne dira-t-on pas de lui «qu’il ignorait la loi du talion, qu’il administrait avec équité et même avec courtoisie, mais qu’il ne fraternisait pas » (15).

2. LA COMPAGNIE «G» MONTE EN LIGNE POUR LA RÉDUCTION DU «SAILLANT».

Le 1er janvier 1945 peu avant 22 h, le convoi transportant l’effectif de la Compagnie «G » traversait Marche, en direction nord, avec l’ordre de gagner le village de Fisenne où une nuit de repos à l’arrière des lignes était prévue. Une erreur de parcours, due à l’obscurité, fut la cause d’un détour inutile vers Scoville ! À hauteur d’un bois, les camions stoppèrent. La neige était fortement tombée sur la région et c’est dans son épaisseur de soixante cm que les hommes pratiquèrent des trous, les bourrèrent de paille prélevée sur une meule et se glissèrent frigorifiés dans leurs sacs de couchage, cherchant en vain le sommeil. Au matin, les camions gagnaient enfin Fisenne où régnait une animation inattendue. Des réfugiés et des troupes y arrivaient ou en partaient… Dans ce village, les gîtes possibles étaient rares et ce fut une véritable chance pour la compagnie d’avoir pu cantonner dans des granges encore disponibles pour y passer le 2 janvier 1945, veillée d’armes supposée tant l’agitation fébrile des unités, à si courte distance du front, y faisait penser.

Le lendemain, quelle position allait donc occuper la modeste Company G, quand sonnerait le coup d’envoi inattendu des opérations ?

Le VIIth Army Corps du major-général Lawton J. Collins dit « Joe l’Éclair» attaquerait, le mercredi 3 janvier 1945 à 8 h 30, le long de la quarantaine de km du front qui lui était imparti entre le XVIII Airborne Corps et le XXX Britannic Corps . En fait, sa mission serait celle d’atteindre le plus promptement Houffalize où une jonction avec des éléments avancés de la Third US Army du célèbre Patton permettrait de réduire le saillant offensif ennemi. Le théâtre opérationnel, imparti à Lawton J. Collins, était donc le secteur compris entre les vallées de la Salm et de l’Ourthe. On sait que la délimitation de ces deux bassins correspond au tracé de la grand’route nord-sud, qui de Manhay conduit à Houffalize en passant par le carrefour de la Baraque de Fraiture. Ligne de crête, la Nationale 30 répondait à la répartition équitable des forces nécessaires à la reconquête du plateau des Tailles. D’une part, la 3rd Armored Division « Spearhead» ferait équipe avec la 83rd Infantry Division dans la reprise du versant de la Salm, donc au côté gauche de l’avance, tandis que la 2nd Armored Division « Hell on Wheels » serait associée à la 84th Infantry Division pour reprendre le secteur vers l’Ourthe.

L’ «Enfer sur roues» du major-général Ernest N. Harmon, personnage haut en couleur de style Patton et grand ami de son chef Lawton J. Collins depuis leurs études militaires à Westpoint, formerait donc avec les Briseurs de rails du major-général Alexandre R. Bolling la partie droite de l’estocade à porter.

kissinger-ardenne04Au point de vue tactique, la puissance blindée de l’impétueux Harmon se composait de trois Combat Commands (CC A CC B et CC Réserve ), groupes de combat dont chacun réunissait 3 Task Forces, c’est-à-dire des formations mixtes constituées pour le temps d’une mission avec un ou plusieurs escadrons de chars, de l’artillerie et une ou deux compagnies de fusiliers… C’est donc parmi ces dernières que figurera, dès le 3 janvier 1945, la Company G faisant en effet partie du 2e bataillon du 335e régiment d’infanterie, elle était attachée à la Task Force C relevant du Combat Command A. Le secteur opérationnel imparti à ce dernier était compris entre les cours de l’Ourthe, à hauteur de Werpin, et celui de l’Aisne à l’est de Fisenne. La montée en ligne de la Cie «G» suivrait la rive gauche escarpée de ce gros ruisseau, qui dévale du plateau sommital des Tailles…

À 8h.30 le mercredi 3 janvier 1945, un concert assourdissant de ronflements de moteurs régnait non seulement aux alentours de Fisenne, mais encore dans toute la région. La « G» et ses deux centaines de fusiliers, ses servants d’armes plus lourdes et des mortiers faisaient alors mouvement plein sud vers Blier pour se rapprocher du front. Cette marche fut des plus éreintantes tant la voie d’accès était glissante. Il ne fallait pas être grand stratège pour imaginer combien l’attaque prévue des blindés, appuyée par les fantassins du 335e régiment, se changerait vite en une bataille d’infanterie avec support des blindés… quand le terrain montagneux le permettrait ! Vers 13 heures, les hommes s’installèrent dans les maisons délaissées et les étables de Blier, tandis que la section des mortiers occupait cuisine et salle à manger d’une vieille bâtisse où le courageux fermier, resté à la garde de ses biens, ne cessait de chiquer en crachotant sans cesse sur le parquet (16).

Le lendemain, la progression se poursuivait avec difficulté sur la route sinueuse et glissante qui remonte la vallée de l’Aisne, pour conduire à Amonines. La troupe cantonna dans une voie latérale du village, après avoir enlevé les congères qui en gênaient l’accès. Le front n’était plus très loin, car le P.C. s’était installé dans une demeure comme s’il y séjournerait quelques jours. D’ailleurs, la section «mortiers» prenait ses dispositions pour appuyer d’autres compagnies, en cas de nécessité. L’annonce d’un repas chaud et l’invitation à se doucher à l’eau tiède laissaient augurer de la suite. À Amonines, la seule boutique existante connaissait le succès. Des gars s’empressaient d’y acheter en solde des boissons douces, tout heureux de s’offrir enfin quelque chose depuis leur départ des USA. L’idée du coup dur imminent régnait !

Ici, la situation n’était pas à comparer avec celles que la compagnie avait connues dans le secteur allemand de Lindern-Geilenkirchen ou lors de la défense de Marche. Une plus grande souffrance physique était à prévoir sur ces contreforts escarpés, enneigés et gelés d’un haut plateau de l’Ardenne, où l’ennemi tenait des positions dominantes. De la neige jusqu’aux genoux rendait la marche harassante sur des voies étroites, devenues impraticables par une température avoisinant les 20° sous zéro. En plus, l’ennemi possédait le grand avantage de l’expérience hivernale, acquise au front russe ou en Scandinavie. À vrai dire, l’épreuve ne se limiterait pas à combattre un adversaire endurci et farouche, mais encore à surmonter la dureté d’un climat qui faisait ressembler ce sommet ardennais à une sorte de « Sibérie belge».

kissinger-ardenne05Depuis son départ de Fisenne, le commandement de la compagnie connaissait son programme des jours suivants. Faisant partie du 2e bataillon comme ses unités sœurs «E», « F» et « H» (mortiers lourds), la «G» était attachée au 66th Armoured Regiment (2nd Arm. Div.) en une Task Force C dont elle constituait momentanément la réserve. Au départ d’Amonines l’après-midi du 5 janvier 1945, sa mission consistait à suivre le mouvement offensif qui remontait la rive gauche de l’Aisne jusqu’à Dochamps, en passant par La Forge à la Plez . À peine sortis d’Amonines, les hommes firent leur entrée dans le décor guerrier : des carcasses de véhicules divers gisaient aux bas-côtés de la route. Bardas au dos, la marche devint de plus en plus pénible quand l’ordre fut donné de quitter la voie et d’escalader son versant latéral pour s’engager dans des chemins forestiers, d’autant plus impraticables par ce temps de neige épaisse et d’un sol gelé à pierre fendre. Le but était d’assurer le flanc droit, mais aussi de tenir une liaison permanente avec les autres unités concernées par la prise envisagée de Dochamps. Les Doughboys se traînèrent sur les sentiers et les voies de débardage, du lieu-dit Le Chainisse à celui des Haies des Raëc en passant par Wihogne, alors que les blindés du 66e régiment ne servaient qu’aux barrages routiers dans la vallée tant la voie carrossable s’y était transformée en patinoire. En fin de journée et durant la pénible avance vers les points dominants de cette maudite colline, un tir infernal de l’artillerie ennemie accueillait les fantassins dont l’unique ressource sera d’en attendre la fin, en se planquant au mieux. On y relèvera 3 tués et 16 blessés, parmi lesquels figuraient les victimes d’accidents malencontreux. En effet, chutes et glissades, d’autant plus fréquentes chez des hommes exténués, provoquaient le déchargement accidentel de leurs propres armes dont le tir touchait alors n’importe qui ! Des sortes de pistes pour traîneaux servaient à l’évacuation des blessés vers une antenne chirurgicale de l’arrière, mais elles devenaient vite verglacées et trop risquantes : il fallait en tracer d’autres. C’est par ce moyen que parvenaient aussi les munitions et du ravitaillement. Placée en réserve de ses unités sœurs, éprouvées plus tôt que prévu, la Compagnie « G» se retrouvait dès lors à l’avant-plan offensif par suite des circonstances. Il ne lui restait donc, tous tirs de l’artillerie ennemie cessant, qu’à se placer sur des positions défensives et y vivre une autre nuit des plus amères et insupportables.

Le matin suivant, samedi 6 janvier, l’ordre était donné de reprendre l’avance vers l’objectif, en support aux autres compagnies. La lente progression retrouvait les mêmes problèmes que la veille. La nuit avait été si glaciale que certains s’étaient même risqués à faire du feu plutôt que de mourir gelés. De l’aveu des combattants qui vécurent cette situation, si chargée de souffrances inattendues, le sentiment de ne plus appartenir à un monde réel et l’appréhension des jours à venir avaient envahi leur esprit comme jamais. Alors qu’ils gagnaient le lieu-dit La Drangotte, un tir infernal de toutes les armes allemandes reprenait de plus belle et fauchait entre autres les braves G.I.s Torrès et Corralejo, amis jusqu’à la mort en se portant mutuelle assistance. Cette attaque soudaine et troublante provoquait alors un recul de près de 600 mètres vers une colline plus élevée, depuis laquelle l’unité occuperait une position dominante en se tenant éveillée et sur le qui-vive.

3. À L’ASSAUT DES POSITIONS ENNEMIES DU HAUT PLATEAU.

Dochamps :

Au lendemain de cette nuit de cauchemars, passée en patrouilles ou dans les sinistres trous des fusiliers somnambules, se levait un jour marquant dans les fastes du 335th InfRegt du colonel Hugh C. Parker. Ce dimanche 7 janvier 1945, son 2e bataillon régimentaire attaché à la Task Force C, alors placée sous l’autorité du même Hugh C. Parker, attaquerait dès 8h.30 le long de la N.841 Amonines-Dochamps avec le support de blindés du 66th Armoured Rgt. Sur la droite, la « G» investirait le nord-ouest de Dochamps, à partir des positions gagnées la veille sur le haut de la colline. La Cie «E» progresserait à la gauche de l’attaque, entre route et voie ferrée, tandis que la «F» en réserve fournirait des patrouilles de flanc et aiderait les chars vers l’objectif : du gravier et de la cendrée seraient répandus sur leur parcours.

Ce n’est qu’à 16 heures, après un tir des mortiers lourds américains auxquels répondaient les hurlements des lance-roquettes Nebelwerfers, que l’avance atteignit la lisière nord du village. La Company G, partie de positions plus proches, attendait ce moment pour déborder sur la localité et contribuer ainsi à sa prise en tenaille. L’ennemi répondait aussitôt par un tir de dissuasion. En fin d’après-midi, sept ou huit maisons étaient aux mains des Américains, mais une grande partie de Dochamps restait sous le contrôle des Allemands. À la tombée du jour, le froid devint si extrême qu’un Sherman tenant un carrefour voyait sa tourelle bloquée : un panzer survenu à l’improviste le mettait hors de combat. Conduite par le lieutenant James Hodges, une partie de la Company F en réserve nettoyait alors le village qui finit par être presqu’entièrement dégagé à coups de bazookas et de grenades à main, lancées sur les maisons non encore reprises. À la tombée de la nuit, moment le plus favorable pour décrocher, on pouvait enfin dire que la plupart des Krauts et leur seul panzer visible avaient vidé les lieux. Le contact permanent avec la Compagnie «E» n’étant pas établi et le mot de passe non encore signalé, un solide périmètre de défense autour des positions acquises s’imposerait jusqu’au lendemain.

Lors du nettoyage de Dochamps, les libérateurs avaient assisté à une scène qui en disait long sur les sentiments anti-nazis de la population locale. Un villageois sautait à pieds joints sur le cadavre d’un Allemand qui venait d’être abattu. Il expliquait « que des SS avaient enlevé et tué ici deux petites jeunes filles, dont une infirme, alors que leur frère venait d’être décapité». Il ajoutait « qu’un vieil homme ou une vieille femme avait aussi été victime de la sauvagerie SS dans une cave du village» (17) . En vérité, la version réelle, encore corroborée par les témoignages recueillis sur place en ce lointain 29 mai 1999, est tout à fait différente !

kissinger-ardenne06Une étable de la ferme Simon, derrière l’église de Dochamps, avait été touchée de part en part par un projectile américain, au cours de l’attaque. La veuve Justine Simon-Grégoire, par ailleurs à la marche claudicante, sa fille Flore (25 ans) et son fils Édouard (15 ans) avaient été tués sur le coup… en même temps que 8 Allemands qui s’étaient retranchés sous le même toit, sans sévices apparents. Les cadavres de ces soldats avaient été enlevés par leurs secouristes et, tragique et indescriptible « boucherie», la sinistre étable s’était refermée sur le massacre de la famille Simon. Dans les jours qui suivirent, le fils Joseph Simon, alors âgé de 23 ans et maquisard MNB se cachant des Allemands, revint à la ferme familiale pour découvrir, peut-être le premier, les corps de ses trois parents qui gisaient parmi les décombres. Ils avaient visiblement été tués par les effets du souffle et les éclats du projectile de gros calibre. Des débris d’une porte en chêne, que Joseph Simon savait consolidée par des équerres métalliques très reconnaissables, avaient défoncé les crânes des deux malheureuses femmes. Quant à la tête manquante de son jeune frère, elle avait été vraisemblablement anéantie sous l’impact de l’obus, sinon tranchée et emportée par inadvertance avec les restes des leurs que les préposés allemands ramenaient vers l’arrière au plus pressé, à toute fin d’identification ou de sépulture digne. À la ferme de Benasse, on déplorait aussi la mort de Marie-Thérèse Martin, autre victime innocente des combats (18).

La «G» était visiblement à court d’hommes, non seulement par le nombre des tués et blessés, mais encore par les victimes du froid intense et de la fatigue. Ainsi, le 2e peloton en montrait l’exemple : huit hommes restaient aptes au combat sur un effectif prévu de 40 fantassins. Et la neige tombait de plus belle, en rafales soufflées par un vent violent qui annonçait une sorte de blizzard. Les cas d’engelures graves, « pieds de tranchée» gonflés par la mauvaise circulation sanguine, nécroses des orteils allant parfois jusqu’à l’amputation et surtout affections pulmonaires préoccupantes expliquaient les vides dans les rangs de la compagnie. Après cette épreuve, une courte station de repos s’avérait nécessaire et ce fut un délice pour tous les rescapés de la «G » que de pouvoir enfin se chauffer, se détendre, se rassasier et se soigner, en essayant d’oublier ce qu’ils venaient d’endurer. En effet, des hommes, du matériel, des équipements et des tanks étaient arrivés d’Amonines pour maintenir la place conquise de Dochamps. Le P.C. de l’unité, venu d’Amonines, s’y était installé. Les vainqueurs d’hier, mis en réserve jusqu’à nouvel ordre, resteront en place jusqu’au mercredi 10 janvier 1945.

Dans le secteur de Dochamps-Samrée, quelles étaient donc les unités allemandes qui faisaient face à la contre-offensive alliée, en ce début de janvier 1945 ?

La 116.Pz. Division de von Waldenburg occupait une ligne défensive qui, d’au-delà de l’Ourthe et La Roche, s’étendait jusqu’aux environs de l’axe Dochamps-Samrée. La «Windhund», avec des éléments de la 2.SS.Pz. Division « Das Reich», avait comme mission de contenir la poussée alliée jusqu’à ce niveau de la N.89. Depuis le 31 décembre, le secteur de Dochamps-Samrée était tenu par des éléments de la 560. VolksGrenadiere Division qui y avaient relevé ceux de la 12.SS.Pz. Division «Hitler Jugend», appelée à Bastogne. C’étaient donc les grenadiers de la 560. VG.D., rompus aux difficultés hivernales par une formation en Norvège, qui s’étaient opposés à la prise de Dochamps. Samrée devenait à son tour l’objectif majeur de l’artillerie américaine et se voyait fortement pilonné. La défense de ce village, qu’on croyait inexpugnable, incombait au commandement de la 116.Pz. Div. dont le P.C. reculera graduellement de Borzée à Wibrin, puis à Achouffe, suivant les nécessités de se conformer aux récentes décisions supérieures (19).

En effet, le Haut Commandement allemand admet enfin que la reconquête alliée, même hésitante, se révèle puissante et inéluctable. L’offensive en Ardenne connaît en effet un revirement indiscutable. Il donne les ordres d’un repli systématique qui n’est pas sans rappeler la stratégie utilisée en septembre 1944 sur le même terrain : le retrait graduel sans recul précipité (20) . C’est l’Opération Veilchen (violette) qui ordonne à certaines divisions de couvrir le repli d’autres sur l’Allemagne, à l’abri du Westwall où elles recouvreront effectif et dotation en vue d’actions à l’Est. Des arrière-gardes de ces dernières resteront toutefois en Ardenne jusqu’au dernier moment et prêteront main-forte aux tactiques du retardement. Ces petits groupes de combat des plus tenaces, aidés de quelques chars, appuieront l’infanterie. Leur Génie bloquera derrière lui les routes du retrait et leurs armes lourdes ralentiront la progression américaine. Parmi ces Kampfgruppen, réapparaissent des unités qui ne connaissent que trop bien la région. Par exemple la 2.SS.Pz. Div. «Das Reich», dont les régiments SS. «Der Führer» et «Deutschland» avaient eu affaire en septembre avec les maquis de Marcourt et du Château du Bois St.Jean (21), quitte son P.C. installé en ce château. Mais ses éléments appuieront la 116.Pz. Div. jusqu’à l’extrême limite, dans sa mission d’orchestrer le repli systématique au sud de 1’Ourthe. D’aucuns parmi ses vétérans n’ont oublié ni les incidents avec la Résistance, ni la sympathie témoignée par la population locale aux Américains. Quant aux civils, demeurés à la garde risquée de leur patrimoine, ils sont pris au piège d’une calamité historique et se gardent bien d’afficher le moindre signe de leur espérance en une seconde libération qui, cette fois, aura le goût amer des cendres.

Samrée :

Le 10 janvier, après une préparation d’artillerie de 1200 salves, l’ordre était donné à la Compagnie « G » d’appuyer les autres unités du bataillon dans leur attaque contre Samrée. Tout au long de l’avance, il était curieux de découvrir les abris que les Allemands avaient construits dans les bois. Petits bunkers et cagnas confortables, disposant même d’un chauffage, se voyaient réoccupés à la moindre halte, d’autant que la rigueur hivernale ne faisait qu’empirer sur ce haut plateau des Tailles où la bise règne toujours en maître.

Cette fois, la suprématie des tanks du 66th Arm. Regt contribuera fortement à la prise de Samrée. La veille, cette brillante unité était encore commandée par l’infortuné colonel Clayton J. Mansfield. Tué lors d’une reconnaissance préparatoire, il était désormais remplacé par le colonel Stokes. Peu de grenadiers ennemis parviendront à se soustraire à cette attaque vindicative. Leur faible valeur combative fera d’ailleurs dire au général von Waldenburg : «Si les forces qui nous étaient opposées avaient rapidement et vigoureusement continué leur avance après la prise de Samrée, elles auraient réussi une percée aux conséquences sensationnelles» (22). Ce jour-là, le P.C. de la 116.Pz. Div. était confronté aux problèmes stratégiques causés par la décision du retrait de ses partenaires, donc à l’impérieuse nécessité d’un recul au sud de Samrée afin de resserrer ses lignes. Son déplacement précédent, de Borzée à Wibrin, en était déjà la raison. Néanmoins, l’artillerie allemande continuait à harceler le village, comme pour dissuader son ennemi de progresser davantage. Quant aux braves villageois, ils s’activaient au plus pressé à relever leurs victimes et à remédier aux dégâts de leurs biens malgré les coups de tonnerre sans fin.

La journée suivante, la Cie «G» se tenait sur des positions d’attente, jusqu’à ce que l’ordre vint, le 12 janvier, du retour à Dochamps. Elle comptait ses blessés et malades, mais deux fusiliers manquaient à l’appel pour toujours. Ernest J. Peterson avait été tué; l’autre, Glenn A. Goodyear, ne reviendra jamais de sa captivité…

Bérismenil :

Le samedi 13 janvier 1945, la neige continuait à tomber, à tel point qu’il était difficile de retrouver les chemins de campagne indiqués sur les cartes. Depuis la veille, le P.C. avait arrêté ses plans : le 2e bataillon marcherait en tête d’une poussée vers le sud-est. Il faisait encore nuit quand les gars somnolents de la Company G quittèrent Dochamps pour se regrouper autour de l’église de Samrée, où certains imaginaient retrouver un peu de sommeil avant la pleine clarté du jour.

En file indienne et suivie des compagnies sœurs, la « G » ouvrait la marche vers Bérismenil à travers froid perçant, neige épaisse, sombres sous-bois et abattis ou traquenards divers. La prise du village s’opérerait par surprise ! Un violent tir de barrage des Nebelwerfers, heureusement hors de portée, accueillait l’avant-garde dès qu’elle débouchait du couvert forestier, sur le coteau qui fait une large perspective de l’objectif à investir. Au lieu-dit Croix du Laid Vevî, l’avance se détournait sur la droite plutôt que d’affronter l’ennemi de plein front sur la route principale. C’est avec peine, par d’abruptes voies de débardage desservant les hautes collines boisées qui dominent la contrée, qu’elle progressera afin de s’y regrouper avant l’attaque-surprise contre les positions allemandes. Sous l’échange entre mortiers 60 mm et Nebelswerfers, les pelotons dévalèrent dans la vallée de la Golette pour gagner ensuite l’ouest de Bérismenil. À 14 h.30, les quatre ou cinq premières maisons étaient prises… Forts d’un support de trois panzers en attente, les Allemands déclenchèrent alors un tir de toutes leurs armes qui figeait les Américains jusque tard dans l’après-midi. Après une préparation d’artillerie, l’ordre de l’assaut final était enfin donné ! Le ravitaillement et l’évacuation des blessés, jusque-là très difficiles, réclamaient la priorité et c’est ainsi que «nettoyage», placement des mines et autres barrages routiers se prolongèrent jusqu’au lendemain matin. La nuit avait cependant été troublée par un sérieux incident. Quelques G.l.s s’étaient risqués à gagner une bifurcation routière, en contrebas de leur position au fond du village. Mal leur en prit, car le tir inattendu d’un panzer les forçait à réintégrer, jusqu’à l’aube, le retranchement d’où ils n’auraient pas dû sortir.

kissinger-ardenne07En fait, des éléments de la PanzerLehrDivision de S. Stadier et plus précisément son Kampfgruppe 902 «von Poschinger» avait reçu, ce jour même de la prise de Bérismenil, l’ordre d’épauler la gauche de la 116.Pz. Division. Depuis la veille, von Waldenburg tenait en effet de son mieux la ligne de défense assez précaire Wibrin-Nadrin-Filly, après avoir délaissé celle de Moulin Belle Meuse-Maboge-Bérismenil. Dans l’obscurité nocturne du 13 au 14 janvier, le renfort atteignait Nadrin, lieu de contact fixé, mais n’y trouvait aucune présence d’éléments de la « Windhund». L’unité venue à la rescousse ne pouvait donc que pousser de discrètes reconnaissances de part et d’autre de Nadrin, par exemple jusqu’aux lisières voisines de Bérismenil où les Américains consolidaient leurs positions. La rencontre fortuite d’un panzer avec des G.I.s trop audacieux était alors possible.

Sur la N.860 La Roche-Houffalize, le 1st Battalion du 334 Infantry Rgt (84th I.D.) commandé par le major R.L. Kolb progressait en direction du sud-est. Colline par colline depuis La Roche, il se rapprochait de Bérismenil libéré. Une scène survenue au cours de cette nuit en dira long sur la situation confuse que connaissaient alors les lignes allemandes. Ainsi lors d’une inspection, le commandant d’un bataillon du 60.PanzerGrenad.Rgt (116.Pz. Division) H.G. von Watzdorf s’était fourvoyé dans ce qu’il croyait être sa zone opérationnelle et se retrouvait prisonnier de son homologue américain ! Les Allemands n’avaient donc livré à Bérismenil qu’un combat de retardement. Cette arrière-garde de la 116.Pz. Division décrochera par des chemins prévus, près de la Chapelle St. Lambert, passera à gué le ruisseau de Belle Meuse et rejoindra, non sans peine, ses lignes au nord de Wibrin .

Ollomont :

Le lendemain 14 janvier et contre toute attente, la Cie «G» recevait l’ordre de marcher sur Ollomont, gros hameau jouxtant Nadrin. La règle habituelle, après la prise d’un objectif, était pourtant de rester sur ses positions conquises. Le matin même, des G.I.s s’évertuaient encore à dépister quelques grenadiers attardés dans Bérismenil. C’est d’ailleurs ainsi qu’un sergent aurait pu être tué sans l’intervention inattendue d’un… Allemand ! Sortant le premier d’une cave, mains en l’air, ce prisonnier se retournait d’un geste vif et frappait l’arme que son suivant destinait à Cal. Nichols, lui sauvant ainsi la vie.., et peut-être celle de son congénère irréfléchi.

Vers midi, fatigués et de mauvaise humeur, les fantassins de la «G» s’engagèrent sur la N.860 La Roche-Houffalize. En appui, la section «mortiers» se tenait à hauteur de la Chapelle Ste Gotte . Cent mètres plus loin, un nid de mitrailleuses contraignait à modifier les plans. Une progression détournée sur la droite éviterait d’affronter les barrages et les mines placées sur la route pour en interdire l’accès aux blindés. La «nationale» se trouvait d’ailleurs dans la zone du 334th Infantry Regiment, où les ler et 2e bataillons avaient mission de prendre respectivement Nadrin et Filly, le même jour. Au prix d’une pénible montée de deux collines fortement enneigées, qui dominaient le terrain largement découvert à la droite de la route nationale, l’objectif serait atteint. En quelque sorte, l’intervention de la Compagnie «G» se présentait comme un appui au régiment-frère, car Ollomont et Nadrin forment quasi une entité. En fin d’après-midi, les mamelons étaient franchis, sans avoir connu l’affrontement direct. Ollomont était maintenant à portée de main, mais le premier peloton qui dévalait la dernière pente resta figé sous le feu nourri de l’ennemi, alerté par une escarmouche avec trois Allemands postés à l’entrée du village. C’est pendant ces quatre ou cinq heures d’attente, à l’affût sur la colline, qu’allait tomber l’un des chefs les plus considérés dans son unité. Le brave sergent P.C. Mac Kaughan, porteur de la Silver Star, était tué en rampant vers les positions ennemies qui entravaient la progression. La solution radicale obligeait maintenant à un recul afin de détourner cette maudite colline par la gauche, passer par la grand’route à Nadrin qu’occupait depuis midi le 1er bataillon du 334th Inf. Rgt, et enfin s’infiltrer dans Ollomont.

Avec l’appui des mortiers dissimulés derrière une grange et des mitrailleuses installées aux fenêtres du bâtiment voisin, les fusiliers s’emparèrent de l’objectif pour n’y faire que quelques prisonniers. Une fois de plus, le gros de la résistance allemande s’était livré, comme à Nadrin avec le 334th, à une action de retardement de plusieurs heures, puis il avait rompu le contact en ne laissant sur place qu’un groupe de sacrifiés. Le détachement de la PanzerLehr Div. de Bayerlein, l’ex arme d’élite de Hitler maintenant aux abois, s’était retiré sur une position de défense assignée : la ligne Achouffe-Bonnerue-Mabompré . Vouloir stopper la lente et puissante poussée américaine s’avérait chimérique. Les dernières chances de se tirer du piège tendu par l’imminente jonction alliée, à l’ouest de Houffalize, s’amenuisaient encore en cette nuit du 14 au 15 janvier 1945.

Ollomont avait retrouvé le calme quand la Company G fut relevée à 2 heures de la nuit. Elle retourna à Bérismenil où repas chaud et court sommeil l’attendaient. Tôt réveillée, les camions GMC étaient prêts à lui faire revoir, en peu de temps et sens inverse, le chemin de croix qu’elle avait accompli en deux semaines de tourments : Samrée, Dochamps, Amonines, Blier, Fisenne et enfin.., le château de Biron où elle jouirait d’un court, quiet et si doux «repos des guerriers». Le village, échappé de peu à l’avance allemande en décembre, jouait maintenant le rôle d’un lieu de grand rassemblement des troupes chargées de la reconquête du Saillant. Entre autres unités les plus diverses, deux tiers du régiment y avaient déjà séjourné, mais la Compagnie «G» venait à Biron pour la première fois. Du 15 au 18 janvier, elle connaîtra « la vie de château» jusqu’à ce que le devoir l’appelle à d’autres prestations, car la bataille de l’Ardenne était loin d’être terminée.

4. LE «GOULET D’ACHOUFFE» ET «LA VOIE CLASSIQUE DES INVASIONS ».

Alors que les «Briseurs de rails» de la modeste Compagnie «G» se reposaient à Biron, la zone opérationnelle qu’ils quittaient vivait ses moments historiques. Sur la lancée de la prise de Nadrin et Filly, leurs frères d’armes du «334th» étaient maintenant candidats à la jonction avec les troupes de Patton, attendues d’un moment à l’autre en contrebas dans la vallée de l’Ourthe orientale. Du côté allemand, l’adage «Gott mit uns» semblait ne pas se démentir, malgré tous les signes évidents de son échec le plus cuisant en Ardenne. Car le résultat de la stratégie de retardement, menée par von Waldenburg, approchait de ses conclusions. Le ciel désespérément couvert empêchait l’aviation alliée de pilonner les voies sinueuses sur lesquelles se traînaient d’interminables convois aux véhicules les plus hétéroclites. Leur colonne s’étirait vers un point de passage étroit, anodin sur les cartes militaires, mais défendu sans y paraître comme un défilé des Thermopyles, car il était la dernière porte de salut avant l’irrémédiable. Les voies verglacées et très enneigées, qui y conduisaient, connaissaient des équipes d’épandage de gravier, du dégagement des ornières et de traction de véhicules en panne. On y voyait même des officiers d’E.M. qui réglaient le trafic comme des Feldgendarmes. Toute l’artillerie disponible protégeait ce lieu stratégique d’exception : l’insignifiant pont d’Achouffe !

kissinger-ardenne08À l’aube du 15 janvier, von Waldenburg tenait encore son P.C. à Taverneux. Depuis la veille, il avait confié la défense de ce solide ponceau, qui enjambe le Martin Moulin, à l’Oberstleutnant Helmut Zander du 60. Pz. Gren. Rgt. de la «Windhund», avec la mission de ne le faire sauter qu’à la dernière ressource. Car l’évacuation du Saillant devrait s’accomplir jusqu’au bout, malgré les chausse-trapes tendues tout autour d’un Houffalize réduit par inconséquence en paysage lunaire. Deux horribles Carpet bombing de l’aviation alliée (26) n’y avaient eu pour tout résultat que le massacre d’une population amie et non avertie par simple largage préalable. Pas plus en sa phase finale qu’au cours de l’Offensive, aucune concentration massive et durable de troupes, de panzers ou de centres de ravitaillement allemands n’avait été constatée dans notre bourg médiéval, donc patrimonial, réduit en un amas indescriptible de gravats et de ruines calcinées. On n’y connaissait que des passages transitoires d’unités. La cible à anéantir n’était pas là : elle serpentait sur des routes voisines !

kissinger-ardenne09Le salmigondis des lambeaux d’unités, qui évacuaient le Saillant par le pont d’Achouffe, suivait la voie la plus directe pour rejoindre sa destination en Allemagne. À moins d’être assignés aux combats de retardement en Ardenne, c’était de suite vers l’est et les plus proches frontières de l’époque qu’il fallait rejoindre. Le territoire germanophone annexé n’était alors distant que d’une vingtaine de km et sa défense ne pouvait qu’y être plus déterminée. Pour atteindre l’issue salvatrice où conduirait le goulet d’étranglement d’Achouffe, le trafic s’engageait dans une montée ardue, plus difficile en hiver pour de lourds véhicules (27). Par la Longue Virée, puis en frôlant le sud du village de Mont, le mouvement débouchait alors sur la grand’route N.30 où l’accès à sa tributaire N.827 est immédiat depuis Les Chèras. Sans risque de devoir traverser la cible harcelée qu’était Houffalize, d’ailleurs détour inutile pour gagner la Germanie, le mouvement en direction de Beho-Aldringen et Ourthe-Deiffelt se maintiendrait jusqu’au dynamitage du modeste ponceau d’Achouffe. Sa protection était impérieuse et toute l’artillerie allemande encore disponible s’y attachait.

À l’aube du 15 janvier 1945, les lambeaux de la 116.Pz. Division tenaient de leur mieux les hauteurs au nord et à l’ouest de Mont, comme un fragile bouclier défensif du pont d’Achouffe. À Mont lui-même, tant la possession de ce village était aussi capitale, un bataillon de reconnaissance de la Pz.LehrDivision de Bayerlein groupait 250 hommes encore bien équipés, en une formation «von Born-Fallois» issue d’éléments de la Pz. Aufkl. Lehr. Abt. 130 à qui il incombait de se maintenir en place jusqu’à nouvel ordre. Des rescapés de la 560.VolksGren. Div. barraient la N.30 à hauteur de la cote 490, en avant de Fontenaille, d’où l’on dominait toute approche blindée venant du nord. Protégé par des mines, ce bloc routier défendait l’accès au nord de Mont et protégeait le débouché du trafic qui, venant d’Achouffe, s’engageait sur la N.827, corridor vital pour l’évacuation vers Gouvy. Un autre Kampfgruppe «Eckardstein» (3.Pz. Gren. Div.) assumait la surveillance des trois premiers km de cette route, depuis Les Chèras jusqu’à Sommerain et le lieudit «Sur Viyi»(28).

En ce matin du 15 janvier, une forte poussée américaine s’exerça depuis Dinez ! Balayant tout sur son passage, elle s’empare de Mont et, sur sa lancée victorieuse, parvient à Taverneux. À 11h00, la Task Force «A» du 66th Arm. Regt entre dans Achouffe où le vieux pont effondré bloque son avance. Le Génie, à l’aide de rails d’une longueur de 13 mètres, ne rétablira le franchissement du Martin Moulin qu’en fin d’après-midi (29) . La stratégie défensive allemande, élaborée avec les maigres moyens dont elle disposait encore, avait habilement écarté le spectre d’un verrouillage du Saillant, d’un désastreux Kessel (chaudron) … d’un «Stalingrad» !

Pressentant la tournure de cette journée, le général Siegfried von Waldenburg avait tôt quitté Taverneux, était passé parmi les ruines de Houffalize et avait remonté la route de Tavigny, par où sa performante « Windhund» s’était infiltrée, un mois avant. Il tiendrait son dernier P.C. ardennais à la Ferme de Rouvroi, entre Buret et Steinbach. Et même si, malgré lui, la situation s’était détériorée de jour en jour au cours des deux dernières semaines, son commandement du repli n’avait pas connu le moindre sauve-qui-peut. Le goulet d’étranglement d’Achouffe avait contribué à l’évacuation de quatre Panzerdivisionen et de nombreux Kampfgruppen détournés avant Houffalize, là où une nasse aurait pu les piéger à tout moment ! (30)

Ce même lundi 15 janvier, les troupes de Patton n’avaient pas encore atteint les rives de l’Ourthe, mais n’en étaient plus loin. Une ligne de défense allemande Bonnerue-Mabompré s’opposait à leur avance. Elle était tenue par des éléments de la 26. VolksGrenadiere Division, dont on savait qu’ils avaient combattu à Bastogne. Cette formation était épaulée par le Kampfgruppe «von Hauser», constitué des restes du PanzerLehrRegiment 901. Une fois de plus et combat retardateur accompli, la défense allemande décrochera du secteur au dernier moment. Le général SS Fritz Bayerlein, Kommandeur de la «PanzerLehr», traversera Houffalize dévasté pour se rendre à son P.C. de Bernistap. Il avouera avoir eu beaucoup de chance d’être resté dans les lignes jusqu’à l’extrême limite. Du 11 au 15 janvier et par manque de carburant, ses soldats avaient dynamité à contrecoeur 55 de leurs panzers ! Tôt le matin du 16, son arrière-garde parvint encore à se faufiler dans Houffalize. Elle avait retardé de son mieux l’avance du 41th US Cavalry Recce du major M.J.L. Greene (31).

kissinger-ardenne10Au Château de Biron, alors que les Doughboys de la Company G se délassaient le mieux possible, que se passait-il dans le secteur opérationnel où ils seraient appelés au terme de leur repos ? Le bruit d’un attachement à la «Spearhead» (3 Arm. Div.), et non plus à la «Hell on Wheels» (2nd Arm.Div.), circulait dans le cantonnement. Comme on le sait, la «Spearhead» du major-général M.Rose opérait depuis le 3 janvier dans la zone comprise entre la vallée du Glain-Salm et l’axe routier N.30 vers Houffalize. Sa progression, après la reconquête du massif des Tailles, la désignait d’emblée pour couper la voie du repli allemand vers l’est.

La N.827, axe de liaison entre Houffalize et St. Vith, broche qui maintient unis les mondes de l’Ardenne et de l’Eifel sans y paraître, artère vitale du flux ou du reflux des invasions jouerait, cette fois encore, son rôle historique traditionnel. Le rapide sectionnement de ce couloir du repli ne permettrait-il pas aux Américains de rattraper le manque à gagner de leur jonction tardive à Houffalize ? Le 14 janvier, les 2.SS.Pz. Division «Das Reich » et 9.SS.Pz. Division «Hohenstaufen», en route vers l’Allemagne pour y être reconstituées, avaient reçu l’ordre de faire demi-tour.

Pendant que le sort de Houffalize se jouait le 15 janvier, le SS.Obfhr (Général) S.Stadler de la «Hohenstaufen » menait, près de Sterpigny, un combat défensif contre une attaque US venue de Baclain. Le chef de la «Spearhead» M. Rose, décidait en effet que ses blindés débarrassent la N.827 d’un verrou qui en interdisait l’accès entre Cherain et Sterpigny. Soutenu par de l’artillerie, le Bataillon III/19 de la 9 SS Pz.Div. repousse les Américains, en leur infligeant une perte très sévère de 23 Sherman sur 50 engagés. Le lendemain 16 janvier 1945, la poussée américaine reprenait de plus belle en un affrontement sauvage dont Sterpigny sera l’enjeu. Cette fois, les panzers vides de carburant ne pouvaient tout d’abord faire face au rush américain. Après 4 heures d’un combat de rues acharné, à dix contre un, le III/19 de I’Hstuf. (Capit.) Kummel, appuyé par quelques panzers réapprovisionnés et le régiment 4.SS.Pz.Rgt.9 venu à la rescousse, recouvrera ses positions dans Sterpigny. Le Panther d’un certain Oscha. (Adjudt.) Gussnerlach avait détruit, à lui seul en deux jours, 13 chars et deux blindés de reconnaissance américains ! (32)

Alors que le combat faisait rage autour de Sterpigny, une autre poussée US de forte intensité cherchait à sectionner la nationale N.827, à un niveau plus proche de St.Vith. Partie des environs de Salmchâteau, elle se dirige vers le sud-est avec la ferme intention de couper les routes du maigre ravitaillement allemand et surtout de piéger les unités encore présentes dans le moignon résiduel du Saillant. Par la N.68 l’attaque remonte la vallée du Glain (= SALM au-delà de Salmchâteau), avec l’intention de couper le corridor d’évacuation allemand à hauteur de Beho, au carrefour des Quatre Chemins. Sur une ligne de front raccourcie, de Cierreux à Honvelez, le Kommandeur S.Stadler a rassemblé en un groupe cohérent les dernières forces dispersées dont il dispose encore. On y compte de l’arrière-garde de la 2 SS. Pz. Div et des lambeaux attardés d’autres unités, appuyées de l’un ou l’autre panzer ou canon blindé autotracté de type Sturmgeschütze À l’aide de charges, mines et grenades, cette formation improvisée repoussera quand même la progression blindée US, à Honvelez.

Le mercredi 17 janvier 1945, l’aile droite allemande tenait toujours son bloc routier au sud de Salmchâteau, tandis que la gauche hantait encore le champ de bataille de Sterpigny où une sorte de calme régnait après la tempête ?

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5. JUSQU’À BEHO, À LA POURSUITE D’UN ENNEMI QUI S’ÉVADE

À midi le 18 janvier, de gros camions GMC non bâchés et lourdement chargés de troupiers quittaient le château de Biron, par une température aussi glaciale qu’à leur arrivée. Le transport du 2e bataillon (335th InfRegt/ 84th US.Inf Div.) gagnait le secteur opérationnel qui lui était désigné : les environs de Baclain où le P.C. était installé. Ce bataillon, formé des compagnies «F, et H (armes lourdes)», était dès lors attaché à la Task Force « Richardson » du Combat Command « Boudinot » de la 3th Arm. Division « Spearhead». Déposés près de Baclain et harnachés comme des mulets, les fantassins de la «G» et les artilleurs de la «H» retrouvèrent vite la dure réalité de ce qu’ils avaient vécu avant Biron : neige, froid glacial, marche pénible, fatigue et amertume. Leur file indienne quitta la zone de rassemblement, prit la direction de Sterpigny en se tenant sur ses gardes et y occupa quelques maisons, à l’avant du village. Les Allemands avaient quitté les lieux, mais leurs observateurs n’étaient pas loin ! Vers l’est, on distinguait la lueur des feux de bivouac et, dès qu’un G.I. montrait le bout du nez, un ou deux projectiles s’abattaient aux alentours. Au cours de la nuit, la Task Force « Richardson » nettoiera d’ailleurs le tronçon de route d’où provenaient ces tirs : le Bois du Beuleu, en direction de Gouvy (33).

Depuis les premières heures de ce jour, le Haut Commandement allemand avait donné l’ordre formel de retirer de l’Ardenne les corps blindés SS, appelés au Front de l’Est où la situation s’aggravait. Au plus tard dans les trois jours, ce retrait devrait être exécuté ! Si les débris de la «Das Reich » pouvaient envisager leur retour immédiat, il n’en était pas de même pour l’importante «Hohenstaufen» sans laquelle le repli calculé vers le Reich virerait au sauve-qui-peut. Sous la férule de son Kommandeur s’exécuterait une délicate manoeuvre du recul pas à pas, tout en gardant le contact, mais en évitant de se faire prendre à revers. Dès ce 18 janvier, Sylvester Stadier ordonnait à son SS.Pz.Gren. Rgt.20, appuyé d’un groupe du Pz.Pioniere. Bat.9, d’engager des combats de diversion à hauteur de Courtil afin de dissuader tout débordement sur son flanc droit, c’est à dire sur la N.68 venant de SaIm-Château. Quant à ses forces encore présentes sur la N.827, elles contiendraient de leur mieux l’avance US jusqu’à ce que la prochaine ligne de défense Beho-Wemperhardt permette un regroupement cohérent, avant les dernières étapes du recul vers l’est (34).

Les positions allemandes si durement défendues à Sterpigny avaient donc été abandonnées, mais le carrefour de Halconreux près de Gouvy était bien verrouillé.

Sterpigny :

La journée du vendredi 19 janvier 1945 restera marquée par la violente et mémorable tempête de neige qui régnait sur la région, car le paroxysme de la rigueur hivernale ardennaise était atteint. Le ciel bas restait profitable aux Allemands, qui n’avaient alors rien à craindre des Jabos (chass.bomb.US). Leur mise en place du dispositif tactique n’en était que facilité, d’autant par un curieux silence qui faisait penser à une trêve. On aurait dit que le contact entre les ennemis était rompu…

Très tôt, les fusiliers de la Cie «G» quittèrent leur campement de Sterpigny pour prendre position sur la colline boisée en direction de Gouvy. De nombreux abris, délaissés par les Krauts, s’y trouvaient. Ils permettaient même d’y faire du feu et leur faction nocturne n’en deviendrait ainsi que plus supportable, d’autant par ce temps à ne pas mettre un chien dehors. L’interdiction ne tarda point : c’était le retour décevant vers le village et ses maisons sinistrées. Tout comme leurs prédécesseurs de la première libération de septembre 1944, les gars de la Cie « G » ignoraient que le site qu’ils convoitaient, au Bois du Beuleu, avait été le théâtre de la «Première mondiale pour le V2 sur Paris, le 8 septembre 1944 à 11 heures » ! (35) L’ordre d’un demi-tour s’expliquait : le lendemain 20 janvier, un repos leur était prescrit, au cantonnement même de Sterpigny qu’ils n’auraient pas du quitter. Déjà du repos sans l’avoir vraiment mérité ? Un coup dur prochain s’annonçait, sans y paraître ! Et la confirmation ne se fera pas attendre : au P.C. de Baclain, des instructions arrivèrent peu avant minuit… La Task Force « Richardson», avec l’infanterie et l’artillerie du 2nd Battalion du « 335th », marcherait prochainement à l’ennemi.

Alors que les G.I.s fourbissaient leurs armes, une femme belge rôdait autour du cantonnement d’un des pelotons. Elle parlait couramment l’allemand, ce qui n’étonnait pas vu la proximité du territoire germanophone, mais elle demandait à être entendue confidentiellement. Un officier de l’ «Intelligence », aidé d’un des rares soldats capables de jouer le rôle d’interprète en telle circonstance, l’avait interrogée. Elle se portait volontaire pour recueillir des informations utiles derrière les lignes ennemies et se faisait forte de les livrer à bref délai ! Le lendemain 21 janvier, veille de l’attaque prévue, une patrouille de six soldats volontaires reviendrait de l’avant, avec des indications sur les positions adverses à Gouvy. (36)

Le Private first class (Pfc ) Henry Kissinger se trouvait à ce moment sur les lieux, comme un de ses frères d’armes nous l’apprendra plus loin. S’il ne fut pas le soldat-interprète de cette anecdote, ses aptitudes le désignaient pourtant comme l’homme de choix pour telle prestation. Un de ses biographes mentionne qu’ «Au secteur opérationnel d’Aachen en décembre 44, il avait servi comme chauffeur-interprète du général divisionnaire Alexander R. Bolling» (37). Un autre affirmera que son ami et protecteur Fritz Kraemer, alors chargé de mettre en place un «Intelligence Service» en territoire allemand, l’avait déjà recommandé aux officiers supérieurs de la 84th US Inf Div. pour sa capacité aux «renseignements militaires» (38). L’Allemagne était à nouveau proche : la haute destinée du jeune Allemand devenu Américain à cause du conflit prendrait bientôt son envol ! Mais, avant de vivre les péripéties qui feront de lui l’un des personnages les plus puissants du monde, il n’était alors qu’un simple soldat qui, comme les autres, aspirait sans doute à un sort moins périlleux que celui de combattant des premières lignes. Si Henry Kissinger fut le soldat-interprète en question, qui pourrait s’en souvenir mieux que lui ?

Gouvy :

Le lundi 22 janvier 1945, à 8h30, le 2e bataillon quittait Sterpigny, suivait la N.827 en traversant les pessières du «Beuleu» et, après cette grimpette, parvenait en vue du carrefour d’Halconreux. Le 3e bataillon s’écartait pour le laisser devancer. À l’avant et à l’arrière, des chars escortaient les fusiliers sur la route, mais ils se détournaient vers les bas-côtés dès qu’on leur signalait des mines. Par froid et neige pour ne pas changer, l’avance s’opérait « en colonne d’escouades ». Après le détour d’un obstacle routier, la «G» essuyait un barrage des mortiers ennemis, pendant qu’un panzer non repéré tirait depuis les hauts de Thier del Hate. L’avant-garde s’infiltre, de chaque côté de la route, vers les cinq ou six premières maisons de Gouvy-village, s’y accroche et nettoie leurs alentours. C’est alors que le chef de ce premier peloton est frappé par un éclat d’obus. Les hommes font tout pour sauver leur brave sergent Charles C. Jones, mais c’était trop tard ! Un gentleman de grande valeur tombait au champ d’honneur…

À leur tour, les autres pelotons dépassent l’avant-garde, désemparée par cette perte. Ils atteignent le carrefour de l’église où le curé les invite à venir voir les dégâts faits par l’ennemi. Mais la bataille n’est pas terminée et la section «mortiers» déclenche, de là, un solide tir vers la gare locale où les Allemands se sont retranchés. Au plus haut du clocher, le poste d’observation règle ce pilonnage pendant que des fusiliers de la Cie «F» poussent jusqu’aux lignes ferroviaires, qu’ils ne peuvent franchir : le pont qui les enjambe est détruit, les mines truffent les voies et les canons ennemis en interdisent l’accès. Cette pugnace arrière-garde de la 9.SS.Pz. Div. n’est certes pas prête à décrocher. Devant la difficulté d’attaquer l’ennemi de face, la Compagnie «G» reçoit la mission d’investir le quartier de la Gare à revers. Elle fera un large détour sur la gauche et s’engagera vers le lieu-dit Les Jarbages, où les remblais du chemin de fer devaient être franchis avec moins de risques.

Aux talus du chemin de fer, la section «mortiers», gênée par le poids de ses armes et munitions, ne suit plus la colonne. Elle prend position derrière un bâtiment proche des ruines du pont qui surplombait les rails. À l’abri du regard de l’ennemi, elle profite là aussi d’une meilleure portée pour ses tirs. Malgré la neige épaisse, la colonne de la « G» poursuit sa progression. Après Dizo l’Hé, elle retrouvera enfin la N.827 qu’elle avait quittée trois heures avant, près de l’église à Gouvy-village. Maintenant, pour achever son contournement de la défense ennemie, il ne lui reste plus qu’à investir le Quartier de la gare et la manoeuvre sera réussie. À 12h50, la Company G atteignait son objectif. (39)

kissinger-ardenne13Le support blindé de la Task Force «Richardson» avait alors franchi les voies ferrées au prix d’un char déchenillé par l’explosion des mines. La défense allemande semblait s’être organisée autour des bâtiments de la station, mais un solide bloc routier se dissimulait à proximité, entre les lieux-dits au Mouton et au Naneu, au-delà de la Gare. Sous la violente poussée des Sherman et des compagnies «G» et «E», l’arrière-garde de la «Hohenstaufen» décrochera vers d’autres positions, les unes sur la route de Beho, les autres sur celle de Ourthe. (40)

À Buffalo (N.Y.) en décembre 1986, l’ancien de la 84th Inf. Div. David C. Laing remettait une superbe décoration à Henry Kissinger, son frère d’armes. Au nom des Vétérans, il s’exprimait en ces termes : «C’est un grand honneur pour moi en ce 42e anniversaire de la Bataille… Henry Kissinger appartenait à la Company ‘G’ du 335th Infantry Regiment et il prit part comme moi à la libération de Gouvy… La Company ‘G’ combattait dans les rues avant que la Company ‘E’ n’y pénètre et nous fûmes canardés par un panzer, alors que nous descendions sur la localité.

À l’époque, Henry Kissinger était fantassin, soldat de première classe et il termina la guerre comme sergent d’état-major» . (41)

Beho :

kissinger-ardenne14Pendant la nuit, les pelotons n’étaient guère restés inactifs. Les positions acquises dans Gouvy avaient été protégées par des mines; des patrouilles observaient sans cesse l’ennemi. C’est au-delà de la fourche, à la sortie de la localité, qu’il fallait particulièrement se tenir vigilant. La surveillance de la branche routière droite vers Ourthe concernait le 3e bataillon du 335e régiment, alors qu’il incombait au 2e bataillon (dont faisait partie la Company G) d’épier l’ennemi sur la branche gauche vers Beho. C’est en effet sur cette N.827 qu’elle progressera le lendemain…

Le mardi 23 janvier 1945 vers 6h00, donc bien avant que le jour ne se lève en ce dur hiver, le 3e peloton de la Cie « G» marche en tête du 2e bataillon sur la nationale 827. L’objectif du jour consiste à atteindre un terrain élevé : le site boisé Joffen à la cote 525. Il se trouve à proximité du noeud routier crucial «aux 4 Chemins», qui donne accès immédiat à Beho. Le but n’est pas seulement de nettoyer la voie qui y conduit, mais encore de flanquer la droite du 334th Inf Rgt qui, depuis Bovigny, a la mission de reprendre ces points stratégiques importants. La Cie «G», après avoir dépassé l’endroit d’où elle avait débouché la veille sur la même route, est d’abord confrontée à un barrage routier d’où part un tir automatique de dissuasion. C’est de ses environs qu’un panzer de la 9.SS Pz. Div. tire par intermittence sur tout ce qui s’engage, en contrebas, vers Ourthe ou Beho. D’ailleurs, un autre panzer en fait de même, depuis Auf Tommen sur les hauts « luxembourgeois», à l’est de la gare . L’avance est freinée, le temps de convaincre l’ennemi qu’il est temps de filer.

Une patrouille de reconnaissance, conduite par le sergent L. Nelson, avait contourné ce barrage afin d’observer si le « 334th » approchait de Beho, car la liaison avec cette unité manquait. Au retour, un des leurs était fauché par le feu d’une arme automatique postée à la lisière d’un bois. Le brave Michael Tulay recevra la Silver Star posthume, mais le tir vengeur des mortiers réduira la mitrailleuse au silence.

Le bloc routier ennemi avait été enfoncé et le commandant de la Company G marchait en tête de son unité. Promu lors du repos au château de Biron, le 1st Leutnt Harold Haaseth appartenait à cette classe d’officiers qui ne se laissent devancer que par les éclaireurs. Faisant le coup de feu parmi ses hommes, il est fauché par une rafale ! Dans ses dernières paroles, il enjoint aux siens de poursuivre leur mission et de ne plus penser à lui : son propre devoir était accompli ! La nouvelle de cette perte se propage dans la colonne qui, sur la N.827, reprend sa marche vers Beho dont on sait maintenant qu’il est investi par les Railsplitters du «334th». Après avoir essuyé le feu de l’artillerie ennemie, la Compagnie « G» occupe le sud de la localité, y reste quelques heures jusqu’à la nuit et repart à l’attaque sur la N.68, vers la croupe boisée de Gesellenland d’où les tirs harcèlent encore Beho.

Le matin de ce mardi 23 janvier, le groupe des grenadiers rescapés du SS.Pz. Gren. Rgt.20 s’était replié sur Beho, par la Chapelle N.D. des Malades et Les Concessions, pour se former en un fort Kampfgruppe de 200 hommes avec les restes composites de la 9.SS.Pz. Division et ses derniers panzers utilisables. L’extrême limite pour obéir aux ordres du Haut Commandement serait dépassée, si ce n’était le devoir impérieux de tenir encore une journée pour éviter un Kessel, donc l’hallali sur une arrière-garde aux abois. D’ailleurs ce jour-là, sur ses arrières, la 7th US Arm. Div. s’emparera des ruines de St.Vith… Il faut résister jusqu’à ce que la relève de la «Hohenstaufen» par son homonyme de la Heer, la 9.Pz. Division, constitue la protection derrière laquelle le Kommandeur S. Stadler pourrait considérer sa mission comme accomplie. Par un ciel plus clair et sous la menace des Jabos, l’évacuation se presse en direction de l’Eifel. Pour les Allemands, la défense de la région frontalière Beho-Aldringen est celle du Vaterland et c’est peut-être dans cet esprit qu’un baroud d’honneur marquera leur ultime défense avant de décrocher. Le matin à 8h.30, le Kampfgruppe avait donc contre-attaqué une forte position du «334th» Aldringen, au lieu-dit Maison neuve. Grâce à l’artillerie US, cet élan inattendu avait échoué.

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Très tard dans la soirée, des groupes d’Allemands isolés hantaient encore les environs boisés de Beho et tiraient leurs dernières munitions sur la localité. Les fantassins de la «G» passèrent la nuit sur la route N.68 dangereusement minée, en attendant de nouvelles instructions. Il faisait glacial, une fois de plus. Mais certains G.I.s très éreintés se couchaient par terre et s’endormaient malgré tout. La plupart marchaient de long en large, les mains dans les poches, pour ne pas geler sur place. Ils attendaient impatiemment le lever du jour dans l’espoir de trouver quelque cagna pour s’y blottir jusqu’à la relève annoncée. Au cours de l’après-midi du mercredi 24 janvier, des camions les ramenèrent dans le décor sinistré de Gouvy. Pendant deux jours, la Company G restera donc à l’écart des combats et des périls, puis elle séjournera à Xhoris pour profiter d’un repos mérité jusqu’au 3 février 1945.

Triste bilan de sa présence en Ardenne, la modeste Company G déplorait la mort de 13 de ses combattants, l’élimination de 51 grièvement blessés ou très malades, la perte d’un infortuné prisonnier qui ne reviendra jamais (43).

Deux Prix Nobel de future notoriété mondiale se sont arrêtés à BEHO au cours de ses deux libérations successives. Emportées dans le flux et le reflux des armées en guerre, ces célébrités en puissance ne passèrent là qu’une nuit, en route vers leur destin, sans pouvoir remarquer l’église alors souffrante du conflit, dissimulant ses trésors votifs intérieurs et ses précieuses reliques ostensibles que l’officiant, aux temps heureux de la paix, montrait du haut de sa rare galerie extérieure à loggia.

Le lundi 11 septembre 1944, la colonne libératrice du 22nd Rgt (4th Infi Div.) du colonel Charles T. Lanham, venant de Houffalize, avait investi Beho dès 13 h 30. Parmi les reporters accompagnant cette percée vers les «dents du dragon» de la Ligne Siegfried, il y avait un personnage peu conformiste, vêtu d’un uniforme sans grade, barbu à souhait et bien campé. Deux ou trois maquisards français, à l’air yankee de circonstance, escortaient «Papa » depuis son «Q. G. du bar de l’Hôtel Ritz » à Paris ! Ernest Hemingway, car c’était lui, était connu des G.I.s pour ses nouvelles, toujours marquées du goût de l’action, de la virilité et de ses variations dans le comportement de l’homme et celui de l’animal (44). À la vue de trophées de chasse sur un manteau de cheminée, dans une annexe du Château des Concessions, la narration de ses exploits cynégétiques se déclenchait devant un entourage rendu, mais captivé par son talent. Le Prix Nobel de Littérature 1954 évoquera plus tard «la petite cité polyglotte de Beho» où des gens du cru lui avaient adressé la parole en français, en allemand, en Luxembourgeois teinté d’expressions wallonnes.., et il y avait même rencontré une jeune personne qui s’exprimait assez bien en anglais. (45)

Le simple soldat Henry A. Kissinger, quatre mois plus tard à Beho, n’adressait sans doute pas la parole à des villageois qui vivaient une libération dramatique très différente de l’heureuse précédente. À moins de 22 ans, son avenir ne connaissait alors aucun autre projet que celui de faire des études, s’il survivait aux situations périlleuses de tous les jours. Les capacités linguistiques et l’intelligence, qui feront de lui «un interprète des services secrets américains en Europe pendant la guerre et un administrateur d’une petite ville allemande après la guerre», (46) ne pouvaient être nécessairement appréciées des officiers que dans un contexte germanophone. Depuis que son unité avait quitté le secteur opérationnel de la Rur, le 23 décembre 1944, maintes occasions d’affermir l’appréciation de ses chefs à son égard s’étaient évidemment présentées. La nécessité d’interroger des prisonniers ou des civils, en allemand, requérait en effet la médiation subtile à laquelle il était particulièrement prédisposé… sans doute mieux que quiconque, par le fait d’avoir été Allemand avant de devenir Américain et d’en connaître ainsi les nuances.

Beho fut le tremplin modeste et insoupçonné de la destinée extraordinaire de Henry A. Kissinger. Après cette ultime prestation en Ardenne, des possibilités de pouvoir pleinement démontrer ses aptitudes lui seraient offertes en Allemagne. Sa Company G retrouvera son théâtre opérationnel sur la rive est de la rivière Rur, le 10 février 1945, non sans avoir d’abord connu une agréable remise en condition morale et physique à Schaesburg, en Hollande. Quant à celui qu’on surnommera un jour le «dear Henry», le destin réglerait la suite…

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Refusant toute promotion au grade d’officier, prouvant ainsi son désintérêt pour les armes et les conflits sanglants, c’est en 1946 qu’il rejoindra les États-Unis pour y entreprendre des études universitaires qui le conduiront au professorat en sciences politiques à Harvard. Tout à la fois conseiller, négociateur, médiateur, diplomate, homme d’État, « grand de ce monde», l’ancien G.I. de l’inoubliable Battle of the Bulge d’il y a 55 ans se verra décerner le Prix Nobel de la paix en 1973.

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NOTES ET REFERENCES.

Avant-propos.

1. La Meuse-La Lanterne, dans rubrique «Entendu», jeudi 21 mai 1981. 2. Le Soir, dans Petite Gazette, «Citoyen d’honneur», 2324 mai 1998.

3. B. MAZLISH, Kissinger portrait psychologique et diplomatique, Postface, Presses Univ. De France, Edit. Complexe, Bruxelles 1977, p.379.

1. L’américanisation de «Heinz» Kissinger.

4. Idem, op. cit., II, L’Amérique, la guerre et l’armée, p. 63.

5. M. & B. KALB, Kissinger, 3. Premières armes, Édit. R. Laffont Paris 1975, pp. 4649.

6. L. GRAILET, Après le premier V2, B. La première Libération de l’Ardenne, dans Segnia (Houffalize), t. XIX, fasc. 5 1994, phrase finale, p. 264.

7. E. ENGELS, La Bataille des Ardennes, Le choc des armées, 10. La 84e DI. américaine, Ed. Didier Hatier 1984, RTBF Charleroi-Namur, p. 74.

8. C.H. MATSON Jr & EX. STEIN, We were the Line, A History of Company G, 335th Infant.Rgt, 84th Inf. Div., Print. USA, 1946 et 1994, Addenda I, p. 208. Ce témoignage précis, jusqu’ici méconnu, ne traite en particulier que des fastes de la Compagnie et non du contexte opérationnel global des trois régiments de la 84th US Inf. Division. Remerciements amicaux à Luc NOLLOMONT (Segnia ) qui me l’a fait connaître.

9. Idem, Waha, p. 89.

10. Idem, Waha, p. 96.

11. Fl. LAMBERT, von Rundstedt dans nos vallées d’Ourthe et Aisne… et les verrous du Nord Luxembourg, Chap. sept., Marche-en-Famenne, L’assaut allemand pour prendre Hollogne et défensive de la 84th Inf Div., Ed. auteur, Aye 1997, pp. 225226.

12. H. MAYON (Cdt), La Bat. du Saillant, dans Tank Museum News n°42, déc. 1994, pp. 820. Remerciements au Lt. Colonel M. DION (TM.) pour info, sur des attachements blindés.

13. M. DELAVAL, St. Vith au cours de l’ultime Blitzkrieg de Hitler, Témoign. non conform., Mardi 16 janvier, Du général von Manteuffel, Ed. JAC, Vielsalm 1984, p. 346.

14. C.H. MATSON Jr & E.K. STEIN, op. cit. réf. 8, p. 96.

15. M. FERRERO, Kissinger; diplomate de l’impossible, Ed. FranceEmp., Paris, 1976, p. 17.

2. La Compagnie «G» monte en ligne pour la réduction du «Saillant».

16. C.H. MATSON & EX. STEIN, op. cit. réf. 8, Amonines, p. 102.

3. À l’assaut des positions ennemies du haut plateau.

17. Idem, Dochamps, p. 108.

18. Témoignage de Joseph SIMON (Dochamps), Gaston LAFALIZE (Dochamps) intermédiaire, tous deux remerciés ici. La Ferme de Benasse fut incendiée au cours du combat.

19. G.M. VON WALOENBURG, Rapport MS n° A.874, 20.2.1946, trad. Luc NOLLOMONT, L’engagement de la 1l6. Pz. Div. du 27.12.44 au 16.1.45, dans Segnia (Houffalize), t. XX, fascic. 4, 1995, pp. 176186.

20. L. GRAILET, O. Cit. réf. 6, p.223.

21. L. GRAILET, Première mondiale pour le V2 sur Paris, le 8.9.1944 en Ardenne belge, 5. Au Beuleu, lancement réussi de l’ancêtre des fusées spatiales, Série V, 1996, pp 36-38.

22 G.M. von WALDENBURG, Op. Cit., réf. 19, p. 183.

23. Témoignages Bérismenil, chez divers contemporains des événements (juin 1999).

24. Ch. NOLLOMONT Jr (Cdt), Ardennes 4445, Résumé des opérations militaires dans la région de La Roche-en-Ardenne, Ed. Communale 1995, cartes du 3 au 16 janvier 1945, pp. 5275. Les plans explicatifs synthétisent nos données, tant alliées qu’allemandes. Cet ouvrage remarquable se pose en document vraiment utile aux chercheurs.

25. Remerciements à Monsieur le Baron de Viron pour son accueil au Château de Biron.

4. Le «goulet d’Achouffe» et « la voie classique des invasions ».

26. A. DUBRU, L’anéantissement de Houffalize par les bombardiers de la RAE, 30/31 déc. 1944 et 5/6 janv. 1945, dans Info Criba n° 1, 1999, pp. 2033.

27. Ch. NOLLOMONT Sr (Dr. droit), auteur du délectable florilège de folklore et d’histoire «Le Pays de La Roche », m’a convaincu des nuances entre goulet et goulot. Amitiés !

28. H. RITGEN, Die Geschichte der PanzerLehrDivision im Westen 19441945, Ruckzug ans Belgien, Motorbuch Verlag Stuttgart, Squizze 20, Seite 262-264. (C.D.H./Evere).

29. R. FLEET Jr (Capt.), The 66th Ann. Regt., Unit Report n° 3, dans Segnia, t. XX, fasc. 2/3 1995, p. 100. Marcel et Gaston LAFALIZE, voisins les plus proches, ont connu le repli allemand par le Vieux Pont, son explosion, sa reconstruction par le Génie US et les réquisitions de villageois pour aider dans la montée, dès son débouché. Merci.

30. G.M. von WALDENBURG (op. cit., réf. 19) reconnaîtra avoir échappé à l’anéantissement total. Il attribuera cette réussite au fait que « le mouvement en tenailles des forces alliées n’avait pas été assez ferme et rapide» (dixit).

31. J.L.M. GREEN, Contact at Houffalize, dans Armored Cavalry Journal, May-June 1949, Print, in USA, p. 41. À propos de la PanzerLehrDivision, Cf. :

1° BAYERLEIN (Gen. Lt), Zusaetzliche Fragen Ardennen Offensive, MS. A945, 5. 13, Oberursel 1946.

2° A. ZERBEL, ArdennesPZ.LehrDiv.,Beschreib.der Kampfhandl.vom 1220 Jan., Ruckz. von den Ardennen, MS.B049 von Gen.Lt E Bayerlein, S. l7, Koenigstein 1950. Ch. NOLLOMONT Jr (Cdt), cf. réf. 24, est remercié ici pour ces 2 documents livrés.

3° J.C. PERRIGAULT, La PanzerLehrDivision, Les derniers combats dans les Ardennes, La P.L.D. couvre le repli de la 7. Armee, Ed.Heimdal (Bayeux), pp. 369371. Cet album historique est du plus grand intérêt pour les chercheurs. Iconographie remarquable.

32. H. FURBRINGER, 9.SSPanzerDivision Hohenstaufen, Traduction et adaptation de Georges BERNAGE, Ed. Heimdal (Bayeux), Chapitre II, Bataille des Ardennes, 6e partie, pp. 503504. Cet ouvrage est exhaustif comme historique de la Hohenstaufen.

5. Jusqu’à Beho, à la poursuite d’un ennemi qui s’évade.

33. After Action Report, 335th inf Rgt (84th1 ID), 18 January 1945, 9h00, p. 6. Voir répartition des 3 bataillons dans les Combat Commands et Task Forces respectives. Remerciements amicaux au Colonel d’Aviation er. (Ing.) Charles VIDICK (CDH/Evere), qui me livra aussi copie de The Battle of the Ardennes, de Th. DRAPER (Sgt en 1946).

34. H. FURBRINGER, op. cit., réf. 32, p. 502 : «südlich sudostwarts bis nach Wemperhaardt».

35. L. GRAILET, op. cit., réf. 21, Série V, 1996.

36. After Action Report, 335th Inf Rgt (84t1 ID.) : «6 soldats envoyés le 21 à 18h00». L’anecdote de la femme germanophone figure à l’op. cit., réf. 8, p. 122.

37. Ch. ASHMAN, Kissinger superstar, Chap. IV : Kissinger soldat, Ed. Presses de la Cité, Paris 1973, pp. 5763.

38. B. MAZLICH, op. cit., réf. 3, p. 65. Dès fin janvier 1945, H. Kissinger aurait été chargé de fonctions administratives militaires à Krefeld et serait même devenu agent du contre-espionnage. Une mention «trans» (= transferred to another outfit) existe en effet en regard de son nom, dans nos archives : Liste «Original Men» (Company G).

39. Th. DRAPER (Lt) , The 84th Inf. Div. In the Battle of Germany, Ed.Viking Press (N.Y.) MCMXLVI, Part Two, The Ardennes, Chapt.VII, The Battle of the Bulge, 10. «Beho to Gouvy to Ourthe», pp. 122-125. Cette référence fut toujours utilisée pour évoquer la reconquête de la région de Gouvy. Elle est de choix mais globale. Ainsi, l’action de la Company G (2nd Batt., 335th Rgt) sur Gouvy et Beho n’y est pas mise en exergue.

40. De Beho, le repli allemand se dirigeait vers le carrefour «Schirm» et Grufflingen. De Ourthe et Deiffelt : vers Oudler et Burg-Reuland. Rassemblement à Habscheid.

41. Témoignage de David C. LAING, Grand Master of the military Order of the Ardennes, à son ami belge André HUBERT, Président honoraire du CRIBA/Liège. Cf. L’Estafette, mensuel CRIBA n° 50, mai 1987, que m’avait alors transmis le Dr J.M. DEHALLEUX.

42. Témoignages et entretiens amicaux avec l’érudit Jean MORSOMME (Ourthe), remercié ici. Cf. L. BOURGRAFF & R. GUILLOT-PINGUE, Ourthe dans la tourmente von Rundstedt, éd.locale, juin 1994. Les Considérations finales sont cependant à prendre avec une réserve certaine : E. Hemingway et H. Kissinger ne sont pas passés ou n’ont pas séjourné à Ourthe ! L’écrivain, venant de Courtil en septembre 1944, logea à Beho et continua sa route par Grüfflingen, Maspelt et Hemmeres. Quant au futur Secrétaire d’État (USA), alors simple G.I. du 2nd Battalion (Cie G 335th) il participa à la prise de Gouvy, puis son unité reçut l’ordre de nettoyer la N.827 jusqu’à Beho

43. C.H. MATSON Jr & EX. STEIN, op. cit., réf. 8, p. 136. À la fin du conflit, la Company G comptera 30 tués «à l’action», sur un effectif initial d’environ 193 fantassins.

44. Pierre MAURY, L’homme et l’animal : variations sur la virilité, dans Le Soir, MAD, mard. mercr. 20/21 juillet 1999, p. 3. À propos de «Happy birthday Ernest !».

45. L. GRAILET, Hemingway parmi les libérateurs de Houffalize, dans Segnia (Houffalize), t. XIV, fascic. 2 1988, p. 62. (réf. au Journal de guerre de EH., p. 19).

46. M. SIMALGILLIS, remerciements amicaux pour diverses confirmations sur Internet.

Du même auteur :

• Série V

Liège sous les V1 et V2
Première mondiale pour le V2 sur Paris
Le V3 harcèle Luxembourg

• DE L’OR EN ARDENNE

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