Occupée depuis la plus haute antiquité et certainement depuis le 4e ou le 5e siècle avant Jésus Christ, la région de Gouvy, si, elle ne possède pas de vestiges monumentaux d’un glorieux passé, n’en recèle pas moins l’un des plus importants gisements de tombes mérovingiennes de toute la Belgique. La région de Bovigny – Limerlé foisonne de tumulus et tombelles non encore inventoriés et les multiples fouilles dont certains ont fait l’objet ont permis la mise au jour de témoins remarquables de la vie et des mœurs de ces habitants d’un autre âge.
Chez nous, à l’exception des remarquables ruines du « Château des Moudreux », à Brisy, et hormis quelques somptueuses fermes-châteaux, témoins de l’opulence de certains « seigneurs » locaux, la majeure partie des vestiges et autres témoins du passé sont généralement soit d’origine modeste, à l’instar de nombreuses bâtisses au caractère typiquement ardennais, soit d’origine religieuse. Chemins creux, carrefours et campagnes regorgent de chapelles, chemins de croix, calvaires, édicules ou croix votives, souvent naïfs, mais toujours finement ouvragés.
Pierre régionale par excellence, le schiste est omniprésent et accompagnait nos aïeux dans toutes les étapes de leur vie. Tour à tour évier, bac à lessives, pavement, linteau de porte, cintre d’entrée charretière, couverture de toiture, croix mortuaire ou gisant monumental, cette merveilleuse pierre bleue et douce a révélé, sous le ciseau des artistes locaux et autres carriers, la plénitude de sa beauté et de sa finesse. Pour preuve, l’exceptionnel patrimoine du vieux cimetière de Gouvy aux étonnantes dalles mortuaires, l’encadrement remarquable de la porte de la sacristie de Limerlé et nombre de tombes de notables et autres membres du clergé décédés il y a bien longtemps et dont les monuments, soigneusement conservés ou restaurés, ont été dressés contre les parois des édifices religieux, comme à Bovigny, Cherain, Beho… Craignant les foudres du Démon et les manigances du Malin, l’Ardennais, en bon et fidèle chrétien, ne manquait jamais de placer sa demeure sous la protection du Seigneur ou de quelque autre saint. C’est pourquoi nombre de fermes et maisons anciennes présentent encore de nos jours, profondément gravé dans le linteau de la porte du logis ou sur la poutre maitresse de la cheminée, le chrisme « IHS » (Jesus Hominem Salvator).
Dominant le cœur des villages de leur haute stature, massives, orgueilleuses parfois, les églises constituent sans nul doute un des principaux pôles d’intérêt que tout visiteur, amoureux de vieilles pierres ou simplement dévot, se doit de visiter. Sous un aspect extérieur généralement rustique et assez simple, parfois fruste, voire même austère, mais jamais outrancier, ces grands édifices sont les témoins toujours bien vivants de l’omniprésence et de l’importance des croyances religieuses dans l’Ardenne profonde.
Il n’est pas si loin le temps où curés et vicaires constituaient, avec les enseignants, les médecins et quelques notables, la véritable aristocratie dominante et l’élite culturelle en ces terres paysannes, éloignées de tout. Au début de ce siècle encore, rares étaient les quelques privilégiés qui pouvaient « monter à la ville » pour y décrocher un diplôme ; rentrés au village, ils toisaient volontiers les populations locales du haut de leur prétendu savoir, ignorant, sans doute, que la véritable « connaissance » résulte plus de l’harmonie avec la nature et le milieu que de la simple culture livresque. Alors que dans le hameau, tous les habitants se tutoyaient et étaient généralement affublés d’un sobriquet -résultant généralement de leurs origines ou de leurs occupations-, l’instituteur, le docteur, le curé étaient les rares personnes à se prévaloir du titre de « Monsieur ». Le prêtre, plus particulièrement, s’érigeait volontiers en responsable de la « moralité » des villageois. Nombre de natifs de quarante ans et plus se souviennent encore de nos jours des prêches éloquents et accusateurs de certains prêtres de paroisse qui, du haut de leur chaire de vérité, fustigeaient leurs ouailles tant en matière d’habillement qu’en matière de choix politiques ou scolaires.
Si aujourd’hui l’influence du clergé en ce domaine est en forte régression, il n’en a pas toujours été ainsi. Le mobilier et les décorations des églises témoignent, oh combien, de la foi, mais aussi et surtout de la générosité des paroissiens qui ne manquaient jamais de payer leur écot lors de la quête dominicale. Conséquence de cette ferveur locale, mais aussi de cette crainte, nos églises peuvent aujourd’hui s’enorgueillir de véritables trésors. Parmi les quelque vingt édifices que possède notre commune, les plus remarquables sont, sans conteste, les églises de Beho, Cherain, Gouvy, Wathermal et Bovigny. L’amateur de sculptures, de maitres-autels monumentaux, de lambris finement décorés trouvera certainement là de quoi satisfaire sa curiosité. Le recul de la pratique religieuse, associé à la réduction des effectifs du clergé, a entrainé une désaffection partielle de divers lieux de culte. « L’évolution » des mœurs, accompagnée d’un manque de respect pour le patrimoine et de déprédations de toutes sortes, ont abouti à la nécessité de protéger les édifices contre les malveillances et autres actes iconoclastes gratuits. Il en résulte que la majeure partie des édifices religieux ne sont plus accessibles que lors des offices. Toutefois, conscients de l’intérêt touristique de ces bâtiments, les gestionnaires locaux en ont doté certains de grillages qui, tout en limitant l’accès au parvis, n’en permettent pas moins une vue d’ensemble sur la nef centrale et sur l’ornementation principale des édifices concernés. Par ailleurs, il n’est pas rare que l’un ou l’autre voisin de la bâtisse soit en possession des clés et permette ainsi au véritable amateur d’accéder à l’intérieur du bâtiment pour y déambuler ou s’y recueillir dans une atmosphère tout empreinte de paix, de silence et sérénité, dans le plus strict respect des us, coutumes et croyances de chacun.
Terre sauvage et aride, terre de contraste aux hivers longs et sévères, l’Ardenne, et plus particulièrement les hauts plateaux qui sont les nôtres, a engendré un peuple rude, casanier et austère, souvent réservé, voire méfiant, d’accès difficile, mais d’une générosité sans borne, fiable tant en parole qu’en amitié. Longtemps isolés, à l’écart des grands chemins migratoires et commerciaux, les villages ardennais vivaient, il n’y a pas si longtemps encore, dans une quasi-autarcie. Cultivant son petit lopin de terre, héritage d’un lointain aïeul, pratiquant le petit élevage, engraissant un ou deux cochons, quand il ne possédait pas sa vache, le paysan se suffisait à lui-même, ne quittant son hameau que lors de la kermesse du village voisin, à l’occasion de la foire aux bestiaux ou pour de rares achats spécifiques, le colporteur assurant l’approvisionnement essentiel lors de ses visites hebdomadaires.
Isolé dans sa masure, parfois à plusieurs kilomètres de son voisin le plus proche, l’Ardennais de jadis a subi, au fil des siècles, les invasions et saccages de maints seigneurs de guerre et autres dictateurs en mal de gloire et de conquêtes : César, Attila, Charlemagne, Charles Martel, Napoléon, Hitler plus récemment, ont marqué leur passage de larmes et de sang. Que de maisons détruites, que de villages anéantis, que de morts au nom de la religion, de l’avidité ou de la folie des hommes. Quand ce n’était pas une épidémie de peste ou de choléra qui réduisait à néant la population d’un hameau tout entier, village dont les pauvres masures étaient livrées aux flammes dans l’espoir d’endiguer le fléau divin… En ces périodes troubles, nombres de brigands et malandrins de tout poil hantaient les sombres forêts d’Ardenne. Coupe-jarret et autres « chauffeurs » ne manquaient jamais de venir perpétrer leurs forfaits dans les maisons isolées avant de s’en retourner, convaincus de toute impunité, dans l’immense et secrète forêt voisine, propice aux cachettes et repaires indécelables. Qui ne se souvient, à Montleban ou à Langlire, des sombres Magonette et Géna qui, voici deux siècles à peine, parcouraient les campagnes de rapines en rapines ?
Ces pénibles et incertaines conditions de vie ont forgé chez nos aïeux, au fil des siècles, une méfiance proverbiale et une fermeté de caractère à l’image de la nature hostile, sauvage et impénétrable qui les entourait. Aujourd’hui encore, si l’amitié et la confiance de l’Ardennais sont difficiles à conquérir, elles n’en sont pas moins indéfectibles, car, sous sa carapace de vieux bourru, le vrai Ardennais cache un cœur d’or, fier de son passé et disert en contes et légendes, passionné de nature, de simplicité et d’authenticité. Un cœur difficile à conquérir, mais dont, après, on ne peut plus se passer.
Traditionnellement de structure basse et allongée, aux murs épais, aux fenêtres rares et étroites, aux plafonds bas et à l’aspect rustique et simple, la maison ardennaise est le reflet de l’âme de ses habitants et des conditions climatiques et économiques qu’il a endurées au long des siècles passés. Simple, mais toujours fonctionnelle et économe en chaleur, l’habitation, et plus particulièrement la ferme ardennaise, profitait largement de la chaleur des étables, contigües au corps de logis, afin de mieux résister aux hivers rigoureux qui sont les nôtres. Les minuscules fenêtres, parfois protégées par d’épais barreaux d’acier ancrés dans la maçonnerie, comme à la ferme Scheurette, à Gouvy ou à la ferme Gotale, à Courtil, évitaient toute déperdition de chaleur tout en distillant, dans les pièces de séjour, une lumière diffuse et discrète. Le pignon massif, soutenant une lourde charpente recouverte de cherbins, présentait sa croupette aux vents dominants, garantissant ainsi une parfaite résistance aux violentes bourrasques d’automne. Disséminés dans une nature souvent hostile, les villages, généralement petits et entourés de prairies elles-mêmes encerclées par la forêt, seraient ailleurs considérés comme de simples hameaux. Dans nos contrées à très faible densité de population, un « gros village » compte à peine cinq-cents habitants ; que dire alors d’une bourgade de mille âmes ? C’est quasiment la ville…
L’Ardenne, et plus particulièrement la Haute Ardenne, redoute peu la sècheresse. Les multiples rus et rivières qui jalonnent la commune de Gouvy en sont la preuve évidente. Elle est toujours verte parce que, sous son climat humide et frais, les herbes et les plantes croissent généreusement. La faune et la flore ardennaises comptent parmi les plus riches de la Belgique, le faible peuplement et la pauvreté relative des moyens de communication ayant contribué à maintenir, durant de nombreux siècles, la région à l’écart de l’urbanisation, synonyme de déprédation et de réduction des espèces végétales et animales. Les cours d’eau abondent et rivalisent en limpidité et pureté de leurs eaux. Maints poissons et crustacés, aujourd’hui rares, sont encore les hôtes de nos multiples rus et rivières pour le plaisir de pêcheurs et autres amoureux de la faune sauvage. Si, autrefois, les forêts de feuillus, de hêtres, chênes, charmes, bouleaux, frênes, et érables recouvraient toute la région, elles ont été progressivement remplacées, chauffage et industrie obligent, par des exploitations de pins, épicéas et mélèzes dans le courant du 19e siècle. Les grandes zones feuillues sont donc assez rares sur le territoire de la commune, les mieux préservées, parce que difficiles d’accès, subsistent encore dans la vallée profonde de l’Ourthe entre Cherapont et Bistain et, dans une moindre mesure, le long de la vallée de la Ronce. À la suite des dégâts innombrables provoqués dans les exploitations d’épicéas lors des tempêtes de l’hiver 1990, des dispositions particulières ont été prises afin d’assurer un repeuplement partiel en essences indigènes feuillues mieux résistantes aux grands vents, n’entrainant pas d’acidification des sols et, à fortiori, un dépeuplement des rivières avoisinantes.
Arpenter la forêt, les plaines ou les chemins creux, déambuler dans les villages et les hameaux au fil des saisons, c’est un peu fouler le chemin de l’histoire pour mieux comprendre les gens, leur caractère, leur habitat et leurs mœurs ; comprendre leur art de vivre et la spécificité ardennaise.
Au printemps, couvertes de rosée, les fraiches touffes d’herbe verte brillent le long des coupe-feux et dans les clairières, sous les rayons régénérateurs et bienfaisants du soleil ; les fils de la vierge oscillent dans la bise matinale tandis que, à l’orée de la forêt, craintif et vigilant, le chevreuil, accompagné d’un nouveau-né, vient au gagnage en quête de nourriture. Sous les chatons des noisetiers et des saules blancs, à l’abri de quelque talus herbeux, les ruisseaux gazouillent entre les berges couvertes de mousses et de renoncules jaune d’or. Dans le feuillage naissant, grives litornes, roitelets, grimpereaux, bouvreuils et pinsons célèbrent le retour du printemps, chantent à s’en casser la voix et s’activent, qui à la reconstruction d’un nid, qui à la recherche d’un endroit propice à une nouvelle demeure.
Avec la douceur des premières journées ensoleillées, le gazouillis des oiseaux chanteurs résonne alentour, emplissant la cime des arbres de leurs trilles et de leurs mélodies : c’est la saison des parades amoureuses, les plumages et les ramages resplendissent de beauté et de pureté dans l’espoir de la conquête d’une compagne. Souris des champs, campagnols, musaraignes et mulots s’activent déjà auprès des premiers-nés de l’année. La couleuvre coronelle et quelques lézards sortent de leur léthargie hivernale et s’étirent paresseusement, sur un vieux mur de schiste ou dans les éboulis d’une ancienne carrière, à la recherche d’un peu de chaleur. Dans les marais avoisinants, grenouilles et crapauds annoncent bruyamment leurs projets amoureux tandis que le héron, infatigable, fouille les prairies et les champs humides en quête de petits batraciens ou autres rongeurs qui constituent son ordinaire.
Les vastes plaines herbeuses se couvrent d’un tapis doré de dents de lion et de renoncules, les haies vives et terrains incultes rayonnent de la blancheur immaculée de l’aubépine et du prunelier, ponctuée çà et là des taches jaune tendre des saules blancs en pleine floraison. Le chant mélodieux du rossignol retentit dans le lointain, tandis que dame renarde accompagne les premiers pas hésitants de ses renardeaux hors de la tanière. Dans le ciel bleu azur, un couple de buses variables tournoient dans les airs en lançant de longs sifflements perçants. Les premiers ruminants font leur apparition dans les vertes prairies renaissantes et les veaux nouveaux nés découvrent avec étonnement les joies de la vie en plein air. Dans la campagne, les cultivateurs retournent les champs et sèment à tous vents.
La nature empressée renait après un long et glacial hiver dans un florilège de couleurs, de bruits et de senteurs enivrantes. Les hautes ramures se couvrent peu à peu d’un nouveau feuillage aux verts tendres, libérant dans les airs des nuages de pollen. Les nuits se font plus courtes ; insensiblement, les températures remontent. Tardif, le printemps n’en est que plus éblouissant ; la nature, trop longtemps engourdie, est consciente que les beaux jours n’auront qu’un temps et que la saison froide sera rapidement de retour. Il faut faire vite, car les frimas sont généralement précoces en ces hauts plateaux humides d’Ardenne. Les verts pastel des mois d’avril – mai font place, peu à peu, à un camaïeu plus intense, plus dur ; l’été est proche.
Les feuillages des hêtres et des chênes se mêlent en une voute épaisse que les rayons du soleil transpercent péniblement. Sous la ramée drue, la végétation s’étire à la recherche d’un peu de lumière. Le calme règne à nouveau dans la forêt ; l’activité débordante du printemps a fait place à de furtifs grattements dans les sous-bois et dans les talus. La densité de la végétation étouffe les bruits et, si les oiseaux chanteurs sont toujours bien présents, leurs gazouillis se font moins fréquents, si ce n’est au lever du jour. Au crépuscule, les coucous font entendre leurs lancinants appels. Le temps des amours étant passé, il devient vital de se cacher, en compagnie de ses petits, et de se mettre à l’abri des prédateurs en quête de pitance. L’atmosphère est lourde et humide et le silence pesant n’est troublé que par la fuite subite d’une chevrette surprise dans son repos ou par le martèlement rapide des pics verts et noirs qui débusquent chenilles et petits coléoptères sous les écorces des grands arbres malades.
Dans l’air chaud et humide des soirées estivales, des millions d’insectes dansent une folle sarabande, constituant un mets de choix pour les oiseaux dont les nichées se font de plus en plus pressantes. La verte mosaïque des hêtres est enfin constituée. Le chevreuil est en rut ; les hérissons redoublent d’activité, fouillant les tertres d’humus à la recherche de larves et de scarabées. Les rares blaireaux qui peuplent encore nos forêts traquent vers, musaraignes et autres petits rongeurs que d’aucuns osent encore qualifier de « nuisibles » ; l’hermine au pelage fauve se faufile dans les clairières à la recherche d’un lapin de garenne ou de bécasses juvéniles. La digitale pourprée étale ses longs dés violacés sous le soleil de juillet, visitée, tour à tour, par les bourdons et autres abeilles solitaires. Les premières guêpes font leur apparition près des maisons tandis que leur agressivité augmente chaque jour. Sur les talus incultes, le bouillon blanc, la berce, l’aconit et la tanaisie se prêtent impudiquement au butinage avide des abeilles en quête des nectars délicieusement sucrés et parfumés qui feront toute la spécificité des miels ardennais. L’arnica, la camomille, le millepertuis s’offrent à l’amateur de « remèdes de grand-mère », vieilles recettes oubliées dont la pharmacopée actuelle s’inspire pour soigner, tout en douceur, les maux induits par une civilisation à la vie trépidante et nerveuse.
Dans les clairières, sur les pentes abruptes des vallées de l’Ourthe et de la Ronce, le long du Glain et dans les zones « mises à blanc », les framboisiers ploient sous le poids de leurs délicieuses drupes rouges ; les myrtilles abondent de petites billes noires tandis que les fraisiers sauvages dissimulent leurs minuscules fruits vermeils sous leur abondant feuillage. Les épilobes sont à l’apogée de leur floraison, les taillis et autres prés humides resplendissent des rouges écarlates des sorbiers, viornes, merisiers et autres sureaux à grappes. Au fond de la vallée, silencieuse et craintive, une élégante cigogne noire rentre précipitamment au nid, inquiétée par le vol circulaire et insistant d’un milan noir non loin de sa cachette. Les moissons arrivent petit à petit à leur terme, aux jaunes d’or printaniers ont succédé les jaunes ocres des blés murs. Les moissonneuses rompent le silence de la campagne et battent les épis d’or, promesse d’une nouvelle récolte, mais aussi garantie de vie pour les prochains mois de froidure à venir.
Au bord des étangs et des mares, les roseaux ont refermé leur écran de verdure, les massettes dressent leurs longs fuseaux duveteux au milieu des nénufars en fleur. Colverts, fuligules et autres bécassines profitent de cette abondante végétation pour dissimuler, au regard des prédateurs, leurs nichées immatures. Au bord de la rivière, les libellules et demoiselles se dorent au soleil, accrochées dans les joncs ou sur le populage aux fleurs jaune luisant. De-ci, de-là, truites, vairons, perches et brochets dessinent des ronds dans les eaux calmes des étangs ou sautent dans les rus limpides aux lits caillouteux où se cachent encore quelques rares écrevisses. La luxuriance des herbes folles qui jouxtent ces lieux humides attire une myriade de coléoptères, sauterelles et autres insectes, emplissant le voisinage du vrombissement de leurs ailes et de leurs stridulations infatigables. Au crépuscule, les chauvesouris quittent leurs abris diurnes et virevoltent dans les airs à la recherche de quelques proies qui iront nourrir leur nombreuse progéniture. Partout, la nature éclate de couleur ; les papillons nacrés dansent dans la brise légère, butinant inlassablement une flore généreuse, chatoyante et enivrante. À la tombée du jour, jusque tard dans la nuit, les lucioles émaillent la pénombre de mille éclats blafards tandis que le grand paon et ses congénères nocturnes s’égaient dans la nature assoupie.
L’églantier est fané depuis bien longtemps déjà et ses fruits, les cynorhodons, arrivent peu à peu à maturité pour offrir à l’amateur une confiture au gout incomparable. Le feuillage, petit à petit, jaunit et se pare de reflets mordorés sous la lumière du soleil couchant. Les regains sont rentrés, l’automne frappe à la porte avec son cortège de fruits et de couleurs incomparables. Les chardons, les bugles et les épilobes confient à présent leurs aigrettes aux vents pour mieux coloniser de nouveaux espaces mis à nu par l’exploitation forestière. Les premiers champignons font leur apparition dans les prés encore exempts de tout traitement chimique. De-ci, de-là, l’agaric champêtre et le psalliote des jachères semblent jaillir de terre, étalant leurs carpophores blancs sous le soleil automnal. Dans les zones plus humides, les coprins chevelus et noirs d’encre émaillent les prés d’une myriade de points blancs. Promeneurs et amateurs fins gourmets arpentent prés et sous-bois à la recherche de ces fugaces délices.
L’automne s’installe peu à peu ; la brume du soir s’épaissit dans le fond des vallées. La rosée est omniprésente au petit matin tandis que la nébulosité se fait plus abondante. Les fruits et les graines murissent, gorgés des sucres accumulés sous le soleil estival. Mures, prunelles et sureaux noirs regorgent dans les chemins creux. Les noisettes, encore bien pâles, sont presque matures et attendent l’écureuil dont elles feront le régal. Les glands, à peine tombés, sont aussitôt emportés et cachés par les geais qui, inconsciemment, se muant en véritables jardiniers de la forêt et participent ainsi à son renouvèlement. Les campagnols, lérots et autres mulots grappillent et enterrent de-ci, de-là un petit fruit, une faine, une noisette en prévision du long hiver qui s’annonce.
Si l’automne est un peu la saison de la mort, c’est aussi et surtout la saison du renouveau. Alors que les hautes herbes sèches flétrissent puis meurent et recouvrent les talus et les prairies d’un épais tapis fauve clair, les graines générées au cours de l’été tombent sur les sols nus avant d’être recouvertes par le feuillage mort, formant une épaisse couche d’humus propice à une future germination lors du printemps à venir. Alors que la futaie s’imprègne d’un air chargé d’humidité, des champignons luisants apparaissent autour des troncs, s’insinuent dans les écorces des arbres morts et parsèment le sous-bois d’autant de bulbes colorés. Le mycologue avisé et prudent vit des heures d’un intense bonheur, cueillant giroles, bolets et autres chanterelles à plein panier. Les pluies se font plus fréquentes, plus abondantes, et les arbres, secoués par les vents impétueux, se dénudent laissant apparaitre à nouveau leurs branches fragiles, tortueuses et noueuses. Aux abords des maisons, les oiseaux migrateurs grégaires se rassemblent en foule nombreuse et préparent activement leur voyage vers leurs quartiers d’hiver. Les sons, que l’épais feuillage n’assourdit plus, portent maintenant beaucoup plus loin. Le brame du cerf résonne à présent au fond de la forêt et les sangliers s’aventurent au-dehors du couvert et retournent, au grand dam des agriculteurs, de leur groin puissant les cultures de pommes de terres non encore récoltées.
Le froid se fait plus vif ; les vents humides deviennent plus piquants. Après s’être réunis une dernière fois lors des fêtes de la Toussaint pour commémorer leurs parents défunts, les villageois s’activent maintenant à rentrer les produits du potager et se font plus discrets que durant la belle saison. L’hiver approche à grands pas. Les animaux domestiques ont quitté les verts pâturages et seuls quelques rustiques et massifs chevaux de trait paissent encore dans les pairies maigres et rases. Dans la forêt, quelques cliquetis de chaines, les bruits de frottement des troncs d’arbres sur le sol, les ordres brefs et précis du débardeur témoignent encore de l’activité humaine. Le sol vibre sous le lourd martèlement de chevaux ardennais qui, impressionnants de force et d’habileté, ahanant et soufflant, extraient, sans dégâts, les lourdes grumes et les disposent le long des coupe-feux d’où ils seront acheminés vers les scieries locales. Indispensable auxiliaire du bucheron, l’animal étonne par sa vigueur, sa puissance, mais aussi et surtout par sa docilité et l’extraordinaire efficacité dont il fait preuve dans son travail, en communion totale avec son meneur ; autant de qualités qui ont sauvé l’animal face aux engins mécanisés, incapables souvent d’accéder aux pentes abruptes des vallées encaissées et générateurs de dégâts considérables tant à la flore qu’à la voirie locale.
Dans la lumière qui s’amenuise de jour en jour, seuls les chênes et les hêtres gardent leur feuillage maintenant brun ocre. Seules les immenses étendues de sapins donnent encore au paysage une note de verdure foncée. La pluie s’installe ; ce n’est plus un doux crépitement, mais des dards glacés et pénétrants qui aplatissent les herbes et gonflent les ruisseaux. Quelques rares grives litornes ramassent les dernières baies de sorbier tandis que des groupes nombreux de corneilles tournoient dans les airs en vols noirs et bruyants. Les lichens s’épanouissent dans cette humidité latente et s’accrochent aux troncs dans les vallées humides. Nombre de petits rongeurs ont regagné leurs terriers depuis belle lurette et entrent peu à peu dans un long et profond sommeil forcé. La vie, petit à petit, ralentit son cours. Bientôt, les premiers gels, puis la neige, succèdent aux pluies glacées. Un épais tapis blanc recouvre les monts et les plaines. La martre et l’hermine ont déjà revêtu leur manteau hivernal et seul un petit panache noir au bout de la queue permet encore de distinguer la première de la seconde. La fouine se montre plus hardie et visite quelques poulaillers mal gardés, le renard se rapproche des maisons et rôde au voisinage des étables. Les bruits portent très loin dans ce paysage hivernal, se répercutant sur les arbres nus et les talus couverts de neige ; il est bien difficile alors de situer le tambourinement des pics verts qui résonne entre les arbres. Chevreuils, biches et cerfs broutent avec avidité les jeunes pousses et les derniers lichens encore à leur portée.
Les nuits sont froides et désespérément silencieuses. De temps en temps, le glapissement du renard trouble le calme de la soirée, la chouette effraie ponctue la noirceur de son lugubre chant. Du haut d’un arbre mort, un hibou hulule faiblement puis, d’un vol silencieux, fond sur sa proie, toutes serres dehors. Gare à la souris, au campagnol ou au lapin imprudent : la buse veille, attentive au moindre mouvement sur la neige immaculée. Disséminés çà et là dans les prés et les campagnes, les abris à bestiaux offrent un hébergement confortable à quelques rongeurs et oiseaux sédentaires. De longues carottes de glaces, scintillant de mille feux sous le soleil éclatant des courtes journées hivernales, pendent, telles de somptueuses stalactites, au bord des toitures recouvertes de cherbins. Le givre décore de mille-et-un motifs les vitres des maisons et pare les reliques d’un été luxuriant de merveilleuses et éphémères fleurs de glace, rehaussant ainsi le dessin épuré des ramures et des branchages.
La mésange et le rouge-gorge se font plus hardis et s’aventurent au voisinage des fermes et des maisons à la recherche de quelques graines alors que les skieurs de fond tracent leurs sillons parallèles dans les étendues immaculées, baignées de reflets dorés sous le soleil couchant. Les premières brindilles vertes ne tardent pas à se manifester. Sous la dense litière de la forêt, quelques jacinthes et perce-neiges pointent déjà. De nouvelles pousses apparaissent sur les mousses détrempées. Les neiges se font plus rares, même si les gelées de mars sont encore souvent pénibles. Giboulées de mars et « biquets » d’avril annoncent le retour du printemps, son fourmillement de vie et son foisonnement de couleurs. Une année s’est écoulée, sans lassitude, sans répétition, avec ses joies et ses peines, ponctuée, chaque jour, d’une nouveauté à admirer ou à redécouvrir.
Découvrir un peuple, une région au travers d’espaces vierges de toute pollution industrielle, tout empreinte encore des souvenirs d’un riche passé, colorée de mille feux et parfumée des innombrables effluves d’une flore incomparable, c’est le pari réussi que Gouvy offre à ses visiteurs d’un temps, comme à ceux et celles qui ont trouvé, chez nous, le petit coin de paradis qu’ils cherchaient depuis bien longtemps, au travers de ses vingt-trois villages et hameaux pittoresques et accueillants. L’Ardenne n’est plus aujourd’hui coupée de ce monde trépidant qui l’entoure ; simplement, son rythme de vie est différent et, s’ils présentent encore maintenant de nombreux témoins de leur passé plus ou moins lointain, nos petits villages ont su habilement conjuguer les plaisirs d’une vie saine, simple et tranquille avec les impératifs d’une société en perpétuelle mutation.
Dotée d’une infrastructure routière et commerciale de premier choix, bénéficiant d’une nature à la beauté incomparable et quasiment vierge, pour une grande partie, des pollutions industrielles et sonores qui sont l’apanage des grandes cités, la commune de Gouvy offre à ses visiteurs, vous offre, amis touristes, un aréopage merveilleux de collines boisées, larges vallées et cluses profondes, plateaux verdoyants aux horizons perdus d’où émergent, çà et là, de merveilleux petits villages accueillants où il fait encore bon vivre et séjourner.
Au fil des quelques pages qui suivent, nous nous sommes efforcés de vous présenter nos richesses présentes et passées, richesses archéologiques, monumentales ou tout simplement naturelles, présentes ou disparues. Nous n’avons certes pas la prétention de vous avoir tout exposé ; sans doute découvrirez-vous nombre de détails spécifiques à notre région, que nous ignorons, mais dont nous vous serions reconnaissants de nous informer. N’appartient-il pas à chacun de découvrir son propre trésor ?